mardi 30 décembre 2014

Dispositifs anti-SDF : Angoulême - Nice, même combat ! Et chez vous ?

L'initiative tout autant stupide que discriminante du maire d'Angoulême de grillager les bancs publics afin d'empêcher les SDF de s'y installer a choqué, à juste titre, l'opinion publique. Mais, au delà de l'indignation passagère, que faire ?
Si les grillages d'Angoulême ont été provisoirement ôtés, bien d'autres mobiliers urbains "anti-SDF" et dispositifs plus pernicieux car moins visibles sont en place un peu partout en France et témoignent de nos difficultés à faire passer la cohésion sociale et le vivre ensemble de la sphère des beaux discours et des vœux pieux à celle des actes et des politiques publiques courageuses. 
Le traitement réservé aux SDF, Roms, squatters et à tant d'hommes et de femmes jugés indésirables est révélateur de l'état notre société. Les politiques publiques menées, indépendamment des grands plans gouvernementaux, se résument souvent à des décisions prises par les collectivités locales et, en premier lieu, par les mairies.
J'invite donc chacun, une fois la belle indignation collective contre le méchant Maire d'Angoulême passée, à regarder ce qui se passe en bas de chez lui, dans sa propre ville, à s'engager et à prendre part à la vie publique locale pour changer les choses.
- N'avez-vous pas vu ces bancs publics séparés en deux par une sorte d'accoudoir ? Sa fonction réelle est d'empêcher les SDF de s'allonger et de dormir sur un banc. 
- Avez-vous constatez que certains arrosages publics aspergeaient étrangement les bancs publics le soir ? C'est encore pour chasser les SDF.
- Les espaces verts de votre communes sont-ils grillagés et inaccessibles, l'hivers, à partir de 18h ou 19h ? Idem.
- Avez-vous vu des murets recouverts de pointes en métal ou de galets ? C'est à nouveau pour empêcher les SDF de s'allonger, mais, le plus souvent, il s'agit de dispositifs mis en place par des copropriétés privées.
- On a déplacé un centre d'accueil de nuit pour SDF du centre ville vers la périphérie de la ville ? Toujours la même politique : chassez cette misère que nos touristes et nos beaux quartiers ne sauraient voir...
- On a fait évacuer manu militari des squatters et des camp de Roms, avec l'aval du Préfet local, laissant femmes et enfants sur le trottoir ? Idem, on chasse la misère, on éloigne l'étranger et le marginal, on déplace le problème sans le traiter réellement.
A mon tour donc de contempler ma ville. A Nice, notre bon maire, largement réélu par ceux qui se déplacent encore dans les bureaux de vote, a mis en place non pas quelques mesurettes éparses mais un véritable arsenal qui ferait pâlir Angoulême toute entière à l'encontre de ces "indésirables".
On commence par un mobilier anti SDF localisé, bien moins visible qu'à Angoulême mais tout autant condamnable.
On poursuit par une série d'arrêtés municipaux qui seront pour la plupart inapplicables ou cassés par la justice mais qui forgent l'image d'un Maire "Monsieur sécurité" protégeant les braves gens :
- Couvre feu pour les mineurs de moins de 13 ans en centre ville
- Arrêté anti mendicité agressive, toujours réservé au centre ville
- Fermeture des épicerie de nuit après 23h et interdiction de consommer de l'alcool sur la place publique entre 20h et 5h 
- Arrêté municipal anti-regroupements pour le quartier Notre-Dame
- Arrêté municipal anti-bivouacs en centre ville visant en réalité les Roms et SDF
On enchaine avec une communication et une mise en scène musclée du bon maire chassant les vilains Roms : 
En juin 2013, Christian Estrosi fait évacuer un stade occupé illégalement par des gens du voyages et leur déclare : "J’en ai maté d’autres, je vous materai, vous êtes des voyous en infraction, vous avez une heure pour partir ! (...) Sinon, on mettra en place un dispositif pour vous pourrir la vie jour et nuit avec électricité et eau coupés et surveillance par caméras mobiles" (Métro, édition Nice Cannes du 30.06.13). Il a ensuite envoyé son mode d'emploi à d'autres maires de France pour lutter contre la présence illégale de Gens du voyages sur des terrains municipaux ou privés...
Il annonce dans la foulée la création d'une brigade municipale de "gardes jardins", la pose de caméras thermiques et un renforcement des règlements intérieurs des parcs et jardins de la ville en précisant à la presse que le but de cette brigade était de "déranger, harceler, dresser des procès verbaux" (Nice Matin, 31.07.13). 
Visiblement, le rôle d'une police municipale est donc désormais de "déranger", "harceler" ou "pourrir la vie" d'une population jugée gênante... même si les politiques discriminantes à Nice sont par ailleurs étrangement sélectives puisque l'on démantèle les camps de Roms mais que l'on laisse des enfants en bas âges être utilisés dans le cadre d'une mendicité organisée sur les grands axes de la ville, dans une indifférence généralisée. 
On complète le tout en repoussant à la périphérie de la ville les pauvres, les malades et les personnes fragiles : 
- On ferme un centre de prise en charge des toxicomanes en centre ville (le CAARUD rue Offenbach) que l'on tente de déplacer en zone sensible (à Pasteur).
- On ferme un centre d'accueil de nuit pour SDF de la vieille ville pour le transférer dans un quartier déjà en difficulté (rue Trachel).
- On s'oppose à la création d'un centre médico-psychologique du CHU en centre ville (rue Lépante) ayant pour vocation d'apporter des soins aux personnes ne nécessitant pas un internement en hôpital psychiatrique mais ayant besoin d'une prise en charge. Le Maire déclare alors : "Ce projet est inquiétant tant pour la prise en charge de ces publics lourds que pour la population qui réside en cœur de ville" et demande une concertation avec les acteurs locaux "en respect de la tranquillité et de la sécurité de tous les citoyens." 
- On réhabilite des logements sociaux, et, sous couvert de loger les étudiants et les jeunes actifs, on casse des 4 et 5 pièces pour en faire des studios et des F1 ou des F2. Résultat : on déplace les familles nombreuses du centre ville pour les reloger... en périphérie.
Je m'arrête là pour la description du laboratoire sécuritaire niçois... Vous l'avez compris, Nice n'a rien à envier à Angoulême sans pour autant susciter la même indignation nationale. Pire, le rejet de l'autre y est revendiqué haut et fort dans une communication toujours plus outrancière. La politique d'inclusion sociale y est sacrifiée sur l'autel de l'argument sécuritaire. Mais pour quels résultats ? La ville la plus vidéo-surveillée de France n'obtient toujours pas les meilleurs chiffres en matière de lutte contre la délinquance. Certains "indésirables" sont expulsés de la vitrine du centre ville, certes, mais cela ne fait que déplacer le problème ailleurs. Les personnes âgées sont de plus ne plus nombreuses à faire les poubelles de nos supérettes de quartiers.  La précarité ne diminue pas, bien au contraire, mais elle s'adapte, se cache et prend d'autres formes. Dans le même temps, les subventions de la Ville de Nice au CCAS baissent de 3 millions en 5 ans. Mais la politique sécuritaire niçoise, servie dans un populisme identitaire nauséabond, semble plaire aux électeurs qui ré-élisent largement le maire de la ville. Bref, rien de nouveau sous le soleil de la Côte d'Azur.
Au-delà des grillages d'Angoulême, nous devons donc tous nous interroger sur la politique de prise en charge des SDF menée dans nos villes, les politiques d'insertion sociale et d'hébergement d'urgence, les politiques menées concernant l'ensemble des personnes fragiles, victime de précarité ou simplement différentes.
Lorsque l'on interrogeait Stéphane Hessel sur son petit opuscule "Indignez-vous", il expliquait que l'indignation était le premier pas vers l'engagement et l'action collective. Nous nous sommes indignés en voyant les grillages d'Angoulême, maintenant agissons !

mardi 9 décembre 2014

Laïcité, crèches et populisme identitaire

En ce 9 décembre 2014, date anniversaire de la promulgation de la loi du 9 décembre 1905, la laicité est à nouveau aux prises avec des polémiques stériles et des instrumentalisations politiciennes ramenant le niveau du débat public des années en arrières.
A chaque nouvelle polémique son prétexte, et le petit monde médiatico-politicien se focalise actuellement sur la place des crèches dans les administrations publiques.
A l'origine du débat, un jugement du 14 novembre dernier du Tribunal Administratif de Nantes qui condamne la présence d'une crèche dans les locaux du Conseil Général de Vendée. 
Si l'on considère qu'une crèche est un objet à caractère religieux (qui peut le nier ?), elle tombe effectivement sous le coup de la loi de 1905, article 28 : « Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. » 
Dès lors, les élus locaux, garants de la stricte neutralités des pouvoirs publics locaux en matière de religion, pourraient avoir le bon sens de respecter la loi.
Si l'on considère par ailleur qu'en plus de son caractère religieux une crèche revêt un caractère culturel (qui peut le nier ?) la question ne doit pas nous pousser à adopter une position "dogmatique". Et force est de constater que la présence de crèches n'a pas constituée jusqu'à présent une entrave au vivre ensemble ! Il n'y a donc pas lieu à crier "haro" et à en faire un emblème absolu de défense de la laicité.
En cette affaire comme en bien d'autres, il faut raison garder.
Là où le débat se complexifie c'est quand des élus locaux, au lieu de s'en référer à une culture locale (les santons de provence, par exemple), se réfèrent explicitement aux "racines chrétiennes de notre civilisation", défendant ainsi la présence de crèches au sein des administrations publiques tout en se référant à leur caractère religieux.
Or évoquer les racines religieuse d'une société ou d'une civilisation pour justifier la présence d'un objet dans une adminsitration ne tient pas et est, pour le coup, clairement contraire à la loi de 1905. Je suis déjà intervenu dans le passé à ce sujet et je n'y reviendrai pas (lire ici).
Certains maires FN ont alors installé, pour la première fois, des crèches dans leur mairie en tweetant "#résistance". Eric Ciotti, président du Conseil Général des Alpes-Maritimes s'est empressé d'installer une crèche dans les locaux publics dont il a la gestion en évoquant "l'héritage judéo-chrétien de notre civilisation" et voyant dans la crèche un symbol "identitaire" autant que religieux.
Ces démarches, à caractère inutilement provocatrices, correspondent très précisément à ce que certains politologues nomment le "populisme identitaire". Nous basculons ici de la question laïque à un domaine plus vaste. Ces pratiques politiques vont à l'encontre du vivre ensemble et sont indignes d'élus de la République. Nous ne pouvons que les condamner.
Enfin, comme l'écrit Jean-Louis Bianco, président de l'observatoire de la laicité : "en cette période de fin d'année, souhaitons collectivement que les acteurs concernés évitent toute polémique inutile, toute instrumentalisation de la laïcité et promeuvent le dialogue et l'ouverture à l'autre."

mardi 2 décembre 2014

Charte des Socialistes pour le progrès humain : et il faut voter pour "ça" ?

Le 3 décembre, les adhérents du parti socialiste seront appelés à voter pour ou contre la "Charte des Socialistes pour le progrès humain", fruit des Etats Généraux du PS ayant donné lieu à plus de 5 600 contributions. Cette charte, selon Jean-Christophe Cambadélis, a vocation à devenir notre "référence collective" (consulter la Charte ici).
5 600 contributions, c'est énorme. Cela veut dire que les socialistes, dès qu'on leur en donne la possibilité, saisissent toute opportunité pour travailler, réfléchir et s'exprimer. Ce phénomène peut être interprété, si l'on est optimiste, comme un signe de bonne santé de notre parti et, si on l'est moins, comme la réponse à un sentiment de frustration chronique de militants privés de parole depuis trop longtemps.