dimanche 26 juillet 2015

Vallauris : le roi arrive, la République s'efface

Le roi d'Arabie Saoudite, Salmane ben Abdelaziz Al Saoud, est arrivé en France hier soir, samedi 25 juillet 2015. Installé dans sa résidence à Vallauris, dans les Alpes-Maritimes, la polémique sur sa venue s'est cristallisée autour de la privatisation temporaire de la plage attenante à sa propriété.

Deux éléments sont particulièrement choquants dans cette affaire : les faits et les justifications données par l'Etat.

Les faits :

Interdire d'accès au public une plage publique au bénéfice d'un individu isolé ou d'un groupe restreint de personnes est contraire à la loi littorale. Cette loi, qui, d'ordinaire, s'applique avec fermeté au quidam, est, cette fois-ci, allègrement contournée par l'Etat qui autorise sa transgression. "Selon que vous soyez puissant ou misérable..." disait La Fontaine. Malheureusement, cette entorse n'a rien d'une fable et révèle une violence symbolique que l'Etat, visiblement, a sous-estimée.

L'espace public, la chose publique, c'est la Res Publica, notre République. Son libre accès et son égal usage sont le socle de l'égalité républicaine. Sa privatisation est le symbole de l'inégalité.

Des travaux d'aménagement pour interdire l'accès à la plage aux riverains et, inversement, faciliter l'accès à cette plage au roi ont été entrepris sans autorisation. Les riverains interloqués ont alerté la Préfecture qui a assuré avoir fait stopper ces travaux et a précisé que le souverain saoudien s'était mis en conformité avec le droit français.

Une pétition a été signée massivement (cliquez ici). La presse suit l'événement avec attention. 

Trois arrêtés préfectoraux ont été pris : interdiction d'accéder à la plage, de survoler la plage et la résidence, de plonger et de naviguer autour de la plage tant que le souverain sera là, c'est-à-dire une bonne partie du mois d'août.

Mais, encore une fois, c'est le symbole de l'inégalité dont il est ici question bien plus que de la privation concrète d'un droit : le roi arrive, la République s'efface.

Les justifications données par l'Etat :

L'Etat s'est exprimé, en deux temps, par la voix du sous-préfet de Grasse, Philippe Castanet.

Dans un premier temps, lors d'une interview donnée à Nice Matin le 22 juillet, le sous-préfet donne une justification proprement hallucinante du non respect du droit républicain : l'argent.

Le sous-préfet précise : "Si l'enjeu d'un visite du roi d'Arabie Saoudite avec plus de mille personne à ses côtés n'a aucune importante, qu'on le dise clairement." Selon lui, cette visite va "faire tourner l'industrie touristique", le roi venant avec "une suite qui va énormément consommer" et qui "a réservé 400 chambres" via l'ambassade et "un nombre équivalent à titre privé".

Voilà pour l'argument touristique. Le sous-préfet a visiblement oublié ses leçons sur la distinction entre intérêt général et intérêts privés. Mais il enfonce le clou : le souverain saoudien, dont le pays est "engagé dans des conflits au côté de la France" (...) "a fourni un milliard d'euros pour équiper l'armée libanaise en armes françaises."

Tout est dit. Acheter ou faire acheter des armes françaises vaut bien le sacrifice temporaire d'une plage, et de l'égalité républicaine avec.

Bref, la République s'achète, c'est le représentant de l'Etat qui nous le dit.

Ce n'est pas le droit qui s'impose, ce n'est pas même la personnalité du roi en question qui pèse dans la balance, c'est l'argent qui est roi.

Dans un second temps, en répondant au Monde, le sous-préfet de Grasse donnera un argument plus diplomatique : « Dans le contexte actuel, il est impossible de faire coexister un chef d’Etat en exercice, qui plus est engagé sur des terrains de guerre, avec des riverains (...). La France a le devoir de protéger les chefs d’Etat des pays alliés qui la visite, et l’Arabie saoudite en fait partie. »

Ce que ne dit qu'à demi-mots cette déclaration, c'est que l'Arabie Saoudite, longtemps soupçonnée de financer le terrorisme, s'est convertie à la lutte contre le terrorisme et contre l'argent du terrorisme et est devenue récemment un allié stratégique indispensable contre Daesh.

Peu importe donc, que l'on bafoue la loi pour le chef d'un Etat faisant le lit du fondamentalisme depuis des décennies, appliquant la charia de façon intransigeante et procédant à de nombreuses persécutions en violation totale du droit international, en témoigne si besoin les châtiments infligés à Raif Badawi (cliquez ici).

La raison d'Etat a ses raisons que la raison ne connaît pas. Mais ce que l'Etat a oublié, se faisant, c'est que le sentiment d'injustice a des ressorts insoupçonnés, et que la violence symbolique de l'inégalité alimente colère et ressentiment.

C'est pourtant bien François Hollande qui avait promis une "démocratie exemplaire".

Et l'on s'étonne que les citoyens n'aillent plus voter...

mardi 21 juillet 2015

Règlements de comptes à Nice : une classe politique immorale

Nice, centre-ville, quartier de la gare, mai 2015. Une jeune femme est tuée par balle, en pleine tête, sous les yeux de ses deux jeunes enfants. La presse nationale en parle, Paris Match s'émeut et reprend l'information. Même quartier, une rue plus loin, à quelques semaines d'intervalle, décès d'un SDF d'un coup de couteau. Quelques lignes à peine dans une brève de la presse locale. L'affaire est moins "sensationnelle". Le quartier de la gare est coutumier du fait. Résignation et indifférence générale y règnent tandis qu'une brigade de policiers municipaux montés du segway, lancée avec trompette et fanfare un an auparavant par le maire de la ville, sillonne fièrement l'avenue Jean Médecin, principale artère commerçante, à 200 mètres à peine de là.
Nice, les Moulins, l'Ariane, juillet 2015. Deux morts dans les deux dernières semaines dans les banlieues de la 5ème ville de France, trois depuis le début de l'année 2015. Une victime collatérale, une dame qui rentrait chez elle, blessée par une balle perdue. "Règlements de compte liés à la drogue", "tué par balle dans le véhicule où il s'était réfugié", "la victime a reçu au moins dix balles", "narco banditisme", "rixe entre une vingtaine de personnes", "quartiers défavorisés", les mots clefs repris par la presse masquent la douloureuse réalité. La presse parle un peu des deux premières victimes, dans les rubriques "faits divers" ou "insécurité", puis s'emballe à propos de la troisième : les politiques entrent dans la danse médiatique.