mardi 5 juillet 2016

49.3 - Leur adversaire, c'est la démocratie

49.3 Leçon de démocratie
Les conséquences du recours récurent au 49.3 vont bien au-delà du sort des députés frondeurs, de la loi El Khomri ou du gouvernement Valls. Elles remettent en question la place accordée au Parlement, l'équilibre des pouvoirs et la crédibilité même de la démocratie représentative.

Le pouvoir législatif, sensé contrôler l'action du gouvernement, est privé de sa prérogative, amender et voter une loi, et se trouve renvoyé facticement à un quasi inaccessible pouvoir de censure. Or cette mise au pas répétée du pouvoir législatif intervient après que le pouvoir judiciaire ait lui aussi été affaibli par la Loi renseignement et le recours à un état d'urgence sans cesse prolongé. Ce qui est en question ici, ce n'est rien de moins que la séparation et l'équilibre des pouvoirs en France.

Si le pouvoir exécutif ressort excessivement renforcé par ce quinquennat, ce type de pratiques ne date pas de 2012 et porte atteinte à la capacité de la démocratie représentative à garantir au citoyen qu'elle représente bien ses intérêt et sa volonté, qu'elle est donc réellement utile. 

Les dénis successifs de démocratie depuis le non respect du vote référendaire en 2005 sur le Traité Constitutionnel Européen, les comportements de caste et les mœurs de la classe politique, l'affairisme et la corruption ou tout simplement le manquement à la parole donnée ne font que renforcer le rejet du système médiatico-politique en place. Or ce rejet alimente au moins trois phénomènes : l'extrême droite, l'abstention et la tentation de la démocratie directe.
  • Le vote Front National se nourrit du rejet du système, rejet d’autant plus fort que la démocratie est faible. Plus le citoyen est bafoué, plus le FN monte. Et, quand bien même le FN démontre années après années qu’il est un parti comme un autre il n’en demeure pas moins le principal bénéficiaire électoral de l’irrespect de la volonté populaire.
  • L’abstention revêt de nouveaux visages. A l’abstention par désintérêt s’ajoute une abstention de refus : refus de se prêter à un simulacre de pouvoir de décision, refus de cautionner le système en place. Des citoyens informés, engagés dans le domaine associatif, pratiquent désormais un "abstentionnisme militant". Le recours au 49.3 ne fait que confirmer leur intime conviction, renforce et légitime leur retrait du geste électoral.
  • La tentation de la démocratie directe est forte. Les idées de tirage au sort, d’assemblée constituante, de contrôles citoyens et de révocabilité des élus sont plébiscitées. Nuit Debout développe également une pratique expérimentale de la démocratie, parfois en complète défiance de toute représention et dans la hantise de la récupération. Mais la démocratie directe comporte aussi de véritables dangers en légitimant souvent un retour du populisme, sous différentes formes mais toujours fondé sur la fiction d'un peuple total. 

Concrètement, le recours au 49.3 retire à la démocratie représentative la possibilité de régler le désaccord. Il empêche le règlement politique du conflit. Il ne reste alors que la manifestation de rue, avec sa part incontrôlable, puisqu'elle sert bien malgré elle de prétexte aux déchaînement des violences urbaines.

Cynthia Fleury, dans Les irremplaçables, écrit que "le déni est la première marche du dénigrement". Nous sommes passés progressivement de dénis de démocratie successifs au dénigrement des citoyens eux-mêmes. Or des citoyens dénigrés, exclus et rejetés, dénigrent, excluent et rejettent à leur tour. Une spirale négative se met en place et ouvre la porte à tous les dangers.

Le gouvernement, lui, poursuit méthodiquement sa remise en cause des droits fondamentaux. Il tente, même si, heureusement, il n'aboutit pas toujours. Mais il fragilise, efficacement, ce que l'on croyait acquis et qui constitue le socle de notre modèle démocratique : 
  • Le droit à la vie privée, par la Loi renseignement
  • L'égalité républicaine, sous couvert de déchéance de nationalité
  • Le droit de manifester, sous couvert de crainte des casseurs. 
Alors bien évidemment, la République française n'est pas un régime totalitaire et la France n'est pas un état policier. Mais l'on est en droit de se demander si, alors que le candidat François Hollande avait pour seul adversaire le monde de la finance, les gouvernements successifs œuvrant sous sa présidence n'ont pas pour adversaire principal notre belle démocratie.

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