jeudi 18 août 2016

Arrêtés anti-Burkini : lutte contre le terrorisme, discrimination ou calcul électoral ?

La polémique sur le burkini n'en finit plus. Elle apparaît de plus en plus comme un palliatif malsain à notre impuissance collective à lutter contre le terrorisme. 

Faute de solutions et d'actions probantes, la classe politique, soutenue activement par les médias, se focalise sur de faux problèmes, désigne des boucs émissaires, interdit pour donner la semblance d'autorité dont doit se parer tout pouvoir pour ne pas paraître faible et démuni.

Des arrêtés contraires à la laïcité 

Les arrêtés anti-burkini pris par certains maires entrent en contradiction flagrante avec le principe de laïcité qu'ils prétendent défendre (lire ici).

La laïcité rend possible la liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire en Dieu. A ceux qui croient, elle garantie le libre exercice du culte.

Si les signes ostensibles sont interdits dans les établissements scolaires et si la Burqa, qui dissimule le visage et empêche l'identification, est interdite partout, les signes ostensibles sont autorisés par la loi dans l'espace public, et donc sur les plages également.

Se vêtir comme bon nous semble relève d'une liberté individuelle à laquelle il ne faut pas renoncer. 

L'Etat n'a plus à interférer dans le choix des vêtements depuis la loi de séparation des Eglises et de l'Etat de 1905, c'est le sens de la réponse que font Aristide Briand et Jean Jaurès au député Chabert qui demandait l'interdiction du port de la soutane dans la rue.

Selon Chabert, le port de la soutane constituait un acte politique, un acte de prosélytisme, contraire à la dignité humaine et la soutane représentait une "prison" pour celui qui la portait. Ce sont exactement les mêmes arguments que l'on retrouve aujourd'hui contre le voile.

La laïcité anti-religieuse fut mise en minorité en 1905 et revient à la charge aujourd'hui. Mais la laïcité telle que définie actuellement dans nos lois et notre constitution respecte les libertés individuelles.

La République garantit l'égalité des citoyens devant la loi sans distinction d'origine, de race ou de religion et respecte toutes les croyances (article 1er de la Constitution). 

Respecter les droits fondamentaux ne veut pas dire être laxiste face au terrorisme. Cela veut dire préserver et défendre le modèle démocratique que le djihadisme combat, préserver et défendre les libertés que le djihadisme veut abolir, ne pas céder à la haine et au rejet de l’autre et refuser d’offrir nos divisions en victoire aux ennemis de la liberté.

Des arrêtés contre productifs

Ces arrêtés municipaux s'avèrent surtout inefficaces dans la lutte contre le fondamentalisme, voire même contre productifs.

Sans prétendre à une typologie précise et en se gardant bien de vouloir catégoriser les personnes, nous pouvons distinguer différentes motivations de port du voile, burkini et, de manière générale, signes religieux ostensibles :

- Le port volontaire non revendicatoire : certaines personnes portent un vêtement considéré comme un signe religieux ostensible tout simplement pour vivre en conformité avec leur foi.

Qu'une femme libre, indépendante de toute contrainte, porte le vêtement de son choix, du moment qu'elle ne trouble pas l'ordre public et permet son identification, est son droit le plus strict.

Nier ce droit et la verbaliser ne peut que générer chez elle un sentiment d'injustice, de rejet, voir la pousser à un repli communautaire, ce qui est très précisément ce contre quoi ceux qui prennent ces arrêtés prétendent lutter.

Nous ne pouvons, y compris au nom de la condition féminine, aller contre la liberté des femmes à se vêtir comme elles l'entendent, à ne pas dévoiler leur propre corps si elles ne le souhaitent pas.

- Le port revendicatoire : d'autres personnes portent un signe ostensible de façon clairement revendicatoire, voire provocatrice. Il s'agit pour elles d'affirmer leur identité et de mener un combat politique pour leur cause.

Or les pouvoirs publics savent pertinemment que l'interdit ne fait que nourrir la revendication : interdire, c'est permette aux provocateurs de se dire stigmatisés et victimes de discriminations.

C'est leur donner des arguments pour convaincre d'autres personnes de les rejoindre. C'est alimenter leur combat politique.

La loi interdisant la burqa a par exemple généré un important port revendicatoire de ce vêtement après sa promulgation. De même il semble que la vente de burkini augmente significativement depuis la polémique

- Le port par contrainte : si des femmes portent un signe ostensible sous la contrainte de leur entourage, la verbalisation est alors une double peine.

Elles sont déjà victimes d'une domination oppressive leur imposant un comportement et une tenue vestimentaire et, au lieu de leur permettre de s'émanciper de cette domination, nous les punissons en retour.

Lorsque nous sommes confrontés à des violences conjugales ou à des dérives sectaires nous faisons tout pour permettre aux victimes de s'en extraire par un accompagnement et par des mesures de protection si nécessaire.

Pourquoi dans le cadre d'une oppression privant des femmes de leur liberté de se vêtir et de se comporter comme elles le souhaitent, il faudrait verbaliser les victimes et laisser impunis leurs oppresseurs ? Comment peut-on, au nom de la condition féminine, verbaliser des femmes victimes d'oppression ?

On le voit rapidement, les arrêtés anti-burkini sont contre productifs, ils infligent une double peine aux femmes victimes d'oppression, ne permettent pas de lutter efficacement contre la progression du fondamentalisme en France et favorisent le repli communautaire.

Pourquoi, dans ces conditions, prendre de tels arrêtés ?

Des arrêtés électoralistes

Sur la Côte d'Azur, les élus locaux ont pris l'initiative de priver une partie de la population de ses libertés fondamentales alors qu'il n'y avait pas de trouble manifeste à l'ordre public.

Ces arrêtés anti-burkini s'inscrivent dans une continuité de décisions discriminatoires : arrêtés anti-mariages bruyants et entrave à la liberté de culte reconnue par le Conseil d'Etat à Nice (lire ici), arrêtés anti-chicha à Carros et Antibes, etc.

Ils s'inscrivent dans un climat d'hystérisation du débat public local autour de l'islam, de réaffirmation permanente des racines chrétiennes de la France et d'instrumentation flagrante de la laïcité (lire ici).

Pour les élus "Républicains" azuréens, l'enjeu est multiple :
  • Asphyxier électoralement le Front National local en préemptant la question identitaire et la lutte contre la "radicalisation".
  • Forcer le gouvernement à épouser leur ligne politique en s'inscrivant dans une course médiatique effrénée à "celui qui combat le plus le terrorisme"
  • Masquer leur impuissance quand, dans un département dont ils gèrent sans contestation depuis plusieurs décennies les principales collectivités, les départs pour le djihad ont été parmi les plus nombreux de France, notamment à Nice avec la cellule d'Omar Omsen ; les réseaux terroristes se sont développés et installés, notamment à Cannes avec la filière dite "Cannes-Torcy" 
  • Laver l'image désastreuse de l'attentat de Nice où l'un des plus important dispositif de vidéo surveillance de France et l'une des polices municipales les plus nombreuses et les mieux armées se sont avérés inadaptés pour éviter un drame faisant 85 morts, démontrant ainsi que surveiller ne suffit pas à protéger.
Nous sommes à l'évidence confrontés à une instrumentalisation et du combat féministe et de la lutte contre le terrorisme par des élus pyromanes qui n'hésitent pas à stigmatiser une partie de la population à des fins purement électoralistes.

Ainsi, il n'est pas étonnant de voir Manuel Valls emboîter le pas de ces élus, lui, champion d'une laïcité gallicane identitariste et stigmatisante.

La Cote d'Azur et l'argent du terrorisme

Une véritable lutte contre le terrorisme sur la Côte d'Azur commencerait, au lieu de verbaliser quelques baigneuse en burkini, par s'attaquer au financement du terrorisme. Car soudain, dès qu'il s'agit de retombées économiques, la lutte contre le fondamentalisme ne semble plus de mise.

Nous nous souvenons tous de la privatisation d'une plage à Vallauris au profit du roi d'Arabie Saoudite et de sa très nombreuse suite (lire ici et ici). Les élus azuréens ne semblaient pas s'être émus, alors, des tenues des baigneuses et ne parlaient que des retombées financières pour l'hôtellerie et la restauration locale.

Nous nous souvenons tous de la campagne menée contre l'ouverture d'une mosquée à Nice en raison de la nationalité saoudienne du propriétaire des lieux quand dans le même temps on acceptait d'autres investissements saoudiens sur la Côte d'Azur.

Cannes est un symbole, c'est la deuxième ville de France la plus connue dans le monde après Paris. Si le maire de Cannes veut envoyer un symbole fort en disant clairement au monde que le fondamentalisme n'a plus sa place à Cannes, qu'il interdise aux yachts battant pavillon d'un pays financeurs du terrorisme de mouiller dans le port et la rade de sa ville. 

Mieux, si les élus azuréens déclarent la guerre au terrorisme, qu'ils empêchent les investisseurs des pays qui le financent de faire des affaires et d'investir ici.

N'oublions pas que le Carlton et l'Hotel Martinez à Cannes ou le Palais de la Méditerranée à Nice battent déjà pavillon qatari.

N'oublions pas les très nombreuses villas appartenant à de riches propriétaires de ces pays sur l'ensemble de la Côte d'Azur.

N'oublions pas les importants partenariats financiers avec des actionnaires des pays financeurs du terrorisme dans les grands projets de développement économique de la Côte d'Azur.

Nos élus, indignés par la condition des femmes portant un burkini, ont visiblement les indignations sélectives dès qu'il s'agit d'argent.


En définitive, oui, les arrêtés anti-burkini ne permettent pas de lutter contre le fondamentalisme et risquent de renforcer le repli communautaire, isolant encore plus les femmes subissant des pressions au lieu de les aider.

Ils constituent une discrimination supplémentaire à l'encontre des musulmanes de France, renforcent et légitiment une islamophobie peu à peu institutionnalisée.

Ils font partie d'une stratégie électoraliste à long terme et sont un leurre pour masquer l'absence de lutte véritable contre la progression du fondamentalisme en France, à commencer par l'argent du terrorisme, investi en toute impunité sur la Côte d'Azur avec l'aval des élus locaux.

mardi 16 août 2016

Le sens de l'engagement

Etre humaniste c'est penser qu'il y a en chacun de nous la même humanité et le droit à la même dignité.
Etre universaliste c'est penser que nous sommes tous égaux devant la loi sans distinction d'origine, de race, de religion ou de genre. Cette égalité de droit fonde la lutte contre toute forme de discrimination.
On peut ainsi être blanc et lutter contre le racisme, être athée et lutter contre l'islamophobie, être juif et lutter pour Gaza, être hétérosexuel et lutter contre l'homophobie et la transphobie, être un homme et se battre pour les droits des femmes, etc.
Respecter les droits fondamentaux ne veut pas dire être laxiste face au terrorisme. Cela veut dire préserver et défendre le modèle démocratique que le djihadisme combat, préserver et défendre les libertés que le djihadisme veut abolir, ne pas céder à la haine et au rejet de l’autre et refuser d’offrir nos divisions en victoire aux ennemis de la liberté.
Nous savons que nous irons à contre-courant, que nous serons minoritaires, mais nous garderons en nous la fierté et la force de ceux qui résistent et qui n'hurlent pas avec la meute. 
Nous garderons, chevillés au corps, envers et contre l'hystérie collective et la vindicte populaire attisées par les irresponsables, l'attachement et la défense des droits fondamentaux, de l'indispensable égalité et de l'impérative liberté.
Tel est notre chemin.

vendredi 12 août 2016

Non, Monsieur Lisnard, ce n'est pas cela la laïcité !

Il y a des polémiques stériles que l'on refuse d'alimenter. Mais elles frappent parfois à votre porte et vous devez y répondre. 

Le maire de Cannes et le maire de Villeneuve Loubet ont pris des arrêtés municipaux interdisant le port du burkini sur les plages de leurs communes. 

Le maire de Cannes, David Lisnard, explique à la presse* que cet arrêté vise à "protéger la population". Il devrait donc expliquer en quoi le fait de se baigner à côté d'une personne portant un burkini nous met en danger. Mais il ne le fait pas, silence radio.

Il explique par contre que "toute personne n'ayant pas une tenue correcte et respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles d'hygiène et de sécurité des baignades" sera verbalisée. 

Une époque ou les vêtements étaient la norme sur les plages...
Concours d'essorage de maillots de bain - 1900
Outre qu'il s'érige en décideur de ce que sont les bonnes et mauvaises mœurs, il avance l'argument du respect de la laïcité. 

Or la loi française permet le port de signes religieux, même ostensibles, dans l'espace public : les signes ostensibles sont interdits dans les établissements scolaires et la burqa, parce qu'elle empêche l'identification des individus, est interdite partout.

Le port du burkini à la plage, tout comme le port du voile, de la kippa ou de la soutane dans la rue, est, lui, autorisé par la loi.

Le maire de Cannes ajoute que "le burkini, c'est l'uniforme de l'islamisme extrémiste, pas de la religion musulmane". Mais qui est-il donc pour décréter ce qui relève d'une religion ou non ? 

La loi de 1905 sépare les Eglises de l'Etat : les Eglises n'ont pas à dicter sa conduite à l'Etat et, inversement, les pouvoirs publics, même locaux, n'ont pas à interférer dans affaires religieuses, sauf trouble manifeste à l'ordre public, ce qui n'est à l'évidence pas le cas ici.

Le maire de Cannes est un homme instruit et intelligent. Il sait donc tout cela par lui-même. Pourquoi donc enfreindre les règles de la laïcité, sous prétexte de la défendre, si ce n'est à visées électoralistes ?

Indépendamment de ce que chacun peut penser du port du burkini, la France est un état de droit. L'égalité de tous les citoyens devant la loi, sans distinction d'origine, de race ou de religion est inscrite dans l'article 1er de notre constitution. 

Le respect de la loi, a fortiori par les élus de la République, est fondamental. C'est le socle de notre démocratie, c'est qui fait notre force et notre unité face à la barbarie terroriste.

J'ajoute que dans l'hypothèse où une femme est contrainte à porter un burkini par son entourage, croit-on vraiment que c'est en la verbalisant que l'on va l'aider à s'émanciper ? Un accompagnement est-il prévu et par qui ? Le personnel de la police municipal a-t-il reçu une formation spécifique à cet effet ?

Après les arrêtés anti-mariages bruyants à Nice, anti-chichas à Carros et Antibes, voici les arrêtés anti-burkinis à Cannes et Villeneuve-Loubet, discriminant encore et toujours une même partie de la population, au risque de la pousser à se communautariser et au moment même où nous avons le plus besoin d'unité face à notre ennemi commun, le terrorisme. 

Faire de l'obsession de l'islam une politique locale, institutionnaliser et par là-même normaliser l'islamophobie est, bien plus qu'une simple erreur de droit, une faute politique majeure.


* Interview à Nice Matin du 12.08.2016

vendredi 5 août 2016

L'Express - Attentat du 14 juillet : la double fracture niçoise

Article de Romain Scotto publié dans l'Express le 19.07.2016 :

A Nice, les tensions sont vives entre des communautés et des quartiers qui se sentent méprisés et d'autres qui les rejettent. L'attentat de la promenade des Anglais a ravivé les plaies. Reportage dans une ville divisée.


Sur la route qui sépare la plage du jardin Albert 1er, ça hurle de tous les côtés. Au lendemain du carnage de la promenade des Anglais, c'est là qu'une foule de Niçois s'est réunie pour rendre hommage aux 84 victimes du camion fou. 

Certains se recueillent, déposent une gerbe, une bougie, un dessin. D'autres cèdent à la crise de nerfs: "Pourquoi l'a-t-on laissé passer? Pourquoi? Qu'est-ce qu'ils ont fait, les flics? Ils étaient où?" s'époumone une jeune femme. 

Très vite, cette "place de la mémoire" improvisée, cernée par les caméras, prend des allures d'Agora. Plusieurs personnes répondent à la question, lancée à la cantonade. Tentent d'engager le débat. 
Un maximum de morts avec peu de moyens

Les mots "insécurité", "immigration", "vote blanc" sont lâchés dans le brouhaha. On fustige "Hollande et son coiffeur à 9000 euros". Il y a là des retraités au crâne lisse et des ados à piercings, des résidents du bord de mer descendus promener Simba, le labrador familial, des touristes en claquettes. Mais aussi des visages noirs, bronzés ou aussi blancs que les balcons de l'hôtel Méridien, situé juste en face. Un condensé du peuple niçois, secoué au plus profond de son identité depuis l'attentat revendiqué par Daech, le 15 juillet, lendemain du drame.