mercredi 27 septembre 2017

Etat d'urgence : les deux cadeaux d'Emmanuel Macron

En transférant dans le droit commun les mesures de l’état d’urgence, Emmanuel Macron mène une politique contre-productive. Il rompt avec la séparation des pouvoirs sans garantir davantage de sécurité. Il offre une victoire idéologique majeure aux djihadistes et livre clefs en main un régime autoritaire à tout parti d'extrême droite arrivant un jour au pouvoir en France.
Le débat sur l'état d'urgence ne peut pas être un débat serein. Il est empreint de notre peur légitime des attentats, habité par l'insondable douleur des proches des victimes, écrasé par le poids de nos frustrations, de notre incapacité collective à trouver des solutions efficace face au terrorisme.
Il ne s'agit pas ici d'opposer libertés individuelles et sécurité. Nous devons dépasser les clivages manichéens entre sécuritarisme et laxisme. Nous souhaitons tous garantir un maximum de sécurité possible à chacun et endiguer au mieux la menace djihadiste.
La question est de savoir quelle est la meilleure politique sécuritaire pour atteindre cet objectif. L'état d'urgence n'est que l'un des outils à disposition, un traitement dont nous devons évaluer l'efficacité et mesurer l'impact des effets secondaires avant de l'abandonner, l'amender ou le pérenniser.
Le gouvernement a choisi, en suivant ainsi le gouvernement précédent, d'intégrer les dispositions de l'état d'urgence dans le droit commun. C’est un choix paradoxal car tout en actant officiellement la sortie de l’état d’urgence il transfert en réalité ses principales dispositions dans le droit commun et, de ce fait, l’entérine. Emmanuel Macron convertit donc ce qui était l’exception en règle. Ce faisant, il modifie profondément l'équilibre des pouvoirs en France en mettant sur de nombreux points le pouvoir judiciaire en retrait au profit d'un exécutif libre de tous contre-pouvoirs.
Concrètement de quoi s’agit-il ?
Le projet de loi de lutte contre le terrorisme présenté par le gouvernement reprend très largement les dispositions prévues par l’état d’urgence et les intègre dans le droit commun :
  • Il instaure des périmètres de protection autour de grands événements sportifs ou culturels, laissés à la libre discrétion des préfets, dans lesquels les fouilles de véhicules et palpations physiques pourront être réalisées par des agents de sécurité privés et des policiers municipaux.
  • Les perquisitions, aseptisées en « visites domiciliaires », seront toujours réalisées sans l’aval du juge, sur simple décision administrative.
  • Les assignations à résidence passent également dans le droit ordinaire en étant renouvelables tous les trois mois durant un an avec obligation de pointer tous jours.
  • Les contrôles au faciès rendus possibles dans les zones frontalières seront généralisés puisque ces zones seront elles-mêmes étendues : au lieu de s’appliquer dans un périmètre de 20km autour des frontières, elles s’appliqueront dans un périmètre de 20 km autour des gares recevant des trains de l’étranger !
  • La fermeture des lieux de culte sera possible durant six mois sur simple décision préfectorale et donc sans décision ou avis d’un juge.
À titre d’exemple, le Préfet des Alpes-Maritimes a été condamné deux fois par le tribunal administratif pour atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale qu’est le droit d’asile. En conséquence, lorsque l’on sait qu’un Préfet peut impunément enfreindre la loi et poursuivre son action de façon inchangée, on ne peut que s’inquiéter de leur voir confier des pouvoirs exorbitants.
Un état d’urgence à l’efficacité non prouvée et détourné de sa fonction
Rappelons que les gouvernements qui se sont succédé depuis l’instauration de l’état d’urgence en novembre 2015 n’ont pas été capables de démontrer de façon incontestable son efficacité.
Faut-il le rappeler, les attentats de Nice, de Saint Etienne du Rouvray en 2016 ou celui des Champs-Élysées en 2017 ont eu lieu durant l’état d’urgence.
Les projets terroristes déjoués par les forces de l’ordre l’ont très majoritairement été grâce au travail des services de renseignement et d’infiltration et non grâce aux dispositions de l’état d’urgence.
Sur les 4000 perquisitions annoncées fièrement au début de l’instauration de l’état d’urgence 95 % n’ont fait l’objet d’aucune procédure.
De plus, l’état d’urgence, dont la fonction est de lutter contre les attentats terroristes, a été détourné de son objectif et utilisé à des fins purement politiciennes : arrestations et assignations à résidence d’opposants écologistes durant la COP 21, fermeture de la frontière franco-italienne et politique délibérée de non accueil des réfugiés…
La longue tradition de l’état d’exception
En transposant dans le droit commun les dispositions de l’état d’urgence, Emmanuel Macron créé un état d’urgence permanent. Or l’état d’urgence constitue un régime d’exception et relève d’une longue tradition. L’état d’exception, quelle que soit sa forme (état de siège, état d’urgence, pleins pouvoirs), est avant tout une suspension du droit commun, de la norme, pour instaurer un état temporaire permettant de prendre des mesures extraordinaires en confiant des pouvoirs accrus à l'exécutif. Il est au fondement de théories politiques extrêmes comme le décisionnisme de Carl Schmitt, dont on connait la compromission avec le régime nazi. Il rompt avec une longue tradition française visant à instaurer des contre-pouvoirs afin d’éviter les dangers d’une concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul. Ainsi, la constitution française est un savant jeu d’équilibre. Elle met en place des voies de recours à chaque type de décisions et des organes de contrôle indépendant du pouvoir exécutif. De même, la séparation des pouvoirs prônée par Montesquieu, visait déjà à empêcher la concentration des pouvoirs et la tentation de l’arbitraire.
Historiquement, l’état d’exception renvoie aux pages sombres de l’Histoire. En 1933, Adolf Hitler promulgue un décret suspendant les articles de la Constitution de Weimar relatifs aux libertés individuelles, ouvrant ainsi la porte aux pires exactions et à la Shoah. Non révoqué durant tout le IIIème Reich, cet état d'exception a duré 12 ans. En 2001 le Sénat américain vote le Patriot Act qui suspend une partie des droits individuels et a rendu possible les exactions de Guantanamo. En France l’état d’urgence est instauré lors de la guerre d’Algérie, en Nouvelle Calédonie puis lors des violences urbaines de 2005.
En intégrant ce qui était exceptionnel dans le droit ordinaire le gouvernement banalise ce qui a toujours été considéré comme un dernier recours, une action ultime et temporaire pour rétablir l’ordre et réinstaller ensuite une vie normale.
Les deux cadeaux d'Emmanuel Macron
Mais il y a plus grave encore. Avec l'intégration de l'état d'urgence dans le droit commun Emmanuel Macron fait deux cadeaux :
Le premier cadeau est donné aux terroristes :
Si la séparation des pouvoirs limite les prérogatives dont dispose le gouvernant en lui imposant des contre-pouvoirs, c’est pour préserver les libertés individuelles. Or ces libertés individuelles constituent tout ce que le terrorisme souhaite abolir et tout ce dont la France, en tant que fer de lance de l'idéal démocratique, est porteuse. Le terrorisme combat nos libertés et ce n'est pas en renonçant à nos libertés que nous le combattrons. Restreindre nos libertés pour combattre le terrorisme, c'est très précisément faire le jeu du terrorisme et lui donner gain de cause. En nous privant nous-mêmes de ce que nous avons de plus précieux et de ce qui fait notre identité, nous offrons aux terroristes une victoire à peu de frais. Daech n'en n'attendait pas moins.
Le second cadeau est fait à l'extrême droite :
Si un jour l'extrême droite arrive au pouvoir en France, elle n'aura même pas à faire voter des lois d'exception pour museler ses opposants. L'exception devenant la règle, l'exécutif disposera désormais d'un panel complet permettant un usage autoritaire et discrétionnaire du pouvoir. Que deviendront les « zones de protections », les « visites domiciliaires », les fermetures de lieux de culte, les assignations à résidence et les contrôles au faciès si l’extrême droite arrive un jour au pouvoir en France ? Il sera alors trop tard pour pleurer notre belle démocratie et nos libertés perdues : c’est nous-même qui nous en privons ! Le Front National, lui non plus, n'en n'espérait pas tant.
En transférant dans le droit commun les mesures de l’état d’urgence, Emmanuel Macron mène une politique contre-productive. Ce projet de loi ne garantit pas plus de sécurité pour nos concitoyens. Il constitue un danger en concentrant dans les mains du seul pouvoir exécutif des prérogatives exorbitantes. Il rompt avec la séparation et l’équilibre des pouvoirs en France. Il rompt avec la défense des libertés individuelles. Il offre une victoire idéologique majeure aux djihadistes et livre clefs en main un régime autoritaire à tout parti d'extrême droite arrivant un jour au pouvoir en France.