jeudi 7 mai 2020

Pour une démondialisation écologique et humaniste

La démondialisation ne doit, en aucun cas et d'aucune manière, pouvoir être assimilée d'une part à un productivisme aveugle contraire à l'écologie et d'autre part à un nationalisme contraire à notre humanisme. La démondialisation sera écologique et humaniste ou elle ne sera pas.

La crise sanitaire, sociale et économique du Covid-19 a fait enfin comprendre à ceux qui s'y refusaient que la France était trop dépendante de ses importations et que, pour faire face aux crises à venir de façon plus efficace qu'elle ne le fait face à celle que nous vivons actuellement, elle devait être plus autonome. Cette autonomie passe par la relocalisation de filières de productions essentielles.

Elle passe également par un renforcement des services publics, notamment hospitaliers, par une préservation des biens communs, par une nouvelle répartition des richesses et par la garantie d'un revenu universel d'existence pour tous sans avoir à improviser des dispositifs compensations sociales partiels et partiaux. J'ai déjà esquissé cela (lire ici) et j'y reviendrai ultérieurement.

Concernant ces fameuses relocalisations de filières industrielles stratégiques devant garantir l'autonomie (de préférence à "indépendance") sanitaire et économique de la France, se pose la question centrale de savoir comment nous concevons cette politique et comment nous la nommons. Resurgissent alors des mots comme "souverainisme", "protectionnisme", "frontière" et, dans un champs lexical proche mais différent, "relocalisation", "circuits courts", "autosuffisance". Entre les deux, un concept que nous sommes nombreux à avoir défendu, notamment avec Arnaud Montebourg depuis 2011 et que nous défendons toujours, sans forcément y entendre tous la même chose : la "démondialisation".

Patriotisme économique, souverainisme et protectionnisme

Le premier champs lexical, de "souverainisme" à "frontières" en passant par "protectionnisme", "made in France" ou "patriotisme économique", permet à certains de rêver d'un dépassement des clivages politiques traditionnels de droite et de gauche en réalisant une union nationale, ces thèmes pouvant séduire les citoyens jusqu'aux électeurs d'extrême droite. Mais la démondialisation ne doit pas aboutir à un repli sur soi chauvin, chaque patriote restant du bon côté de sa frontière, une main sur le cœur, l'autre tendant haut son drapeau et chantant bien fort son hymne national. Certains disent "les Français d'abord", d'autres "America First", mais cela ressort du même creuset.

Pour autant, la patrie n'est pas la nation et être patriote n'est pas une tare ou une faute. Pour autant, sans un protectionnisme qui taxe aux frontières de l'UE les produits fabriqués sans respecter la protection et des travailleurs et de l'environnement, le produit étranger fabriqué ainsi vaudra toujours moins cher qu'un produit européen ou national plus vertueux. Pour autant, la politique du "made in France" et du "redressement productif" menée par Arnaud Montebourg en tant que ministre de 2012 à 2014, de la tentative de renationalisation temporaire de Florange aux 34 plans industriels stratégiques en passant par le décret de mai 2014 limitant l'investissement étranger dans des secteurs clefs, correspond très précisément à la politique qu'il aurait fallu poursuivre pour nous éviter la dépendance actuelle. Tout cela est vrai. Mais la démondialisation ne doit, en aucun cas et d'aucune manière, être assimilable à un nationalisme et il faut se garder d'entretenir la confusion. Même la notion de "souverainisme" renvoie pour beaucoup aux mouvements souverainistes eurosceptiques ou pro frexit. Il s'agit de retrouver un juste milieu et de nous prémunir des extrêmes.

Afin d'éviter ce risque, certains reviennent à la "déglobalisation", le terme de mondialisation étant la traduction française du terme anglais "globalization" et la démondialisation étant une déglobalisation financière et marchande. D'autres relancent la notion, certes intéressante mais elle aussi polysémique et développée en des directions différentes, de "juste échange". Benoit Hamon propose, lui, propose dans un tweet de parler de "démarchandisation", terme qui porte bien l'idée d'extraire les biens communs du système marchand mais qui perd la notion de relocalisation.

Relocalisation, autosuffisance et décroissance

Le second champ lexical, de "relocalisation" à "autosuffisance" en passant par "circuits courts", "territoires résilients", "collapsologie" ou "décroissance", retranscrit bien la nécessité de l'autosuffisance (de préférence à "souverainisme") sanitaire, alimentaire ou énergétique. Il met également l'accent sur la dimension locale et territoriale de la résilience. La notion d'autosuffisance introduit l'idée, en plus de celle d'autonomie, de ne prélever dans la nature et de ne produire que ce qui nous est suffisant. Nous rejoignons là une sobriété qui s'oppose à la surproduction et à la surconsommation. 

La relocalisation n'est pas la renationalisation : niçois, je préfère un produit bio de la Ligurie italienne voisine à un produit gavé d'engrais chimiques et de pesticides du nord de la France. Le circuit court et l'intérêt écologique priment sur les frontières nationales. 

Mais les politiques regroupées dans ce champ lexical se heurtent à des précisions nécessaires sur la productivité. Si nous sommes déjà entrés dans une phase de décroissance subie, si l'arrêt brutal de l'économie durant le confinement évoque l'effondrement, il est indispensable de produire pour relocaliser les filières essentielles à l'autosuffisance. Il faut donc décroître dans certains domaines non essentiels et défendre une croissance raisonnée dans des filières stratégiques ciblées, à définir et à prioriser. Cette indispensable croissance liée à la relocalisation des filières stratégiques ne peut se faire en dépit de l'impératif écologique d'une économie décarbonée, soucieuses de préserver aux maximum nos ressources et d'être le moins polluante possible. Nous devons opérer une mutation profonde de l'Anthropocène telle que nous puissions le transformer de l'intérieur. Et, en aucun cas, la démondialisation et la relocalisation des filière industrielles essentielles ne peuvent se réduire à un productivisme aveugle et non écologique.  

Frontières

Pour saisir la portée de ces enjeux, un retour sur la question des frontières, ligne de démarcation idéologique, est utile et révélateur. Le RN propose une renationalisation de l'économie française en taxant les produits étrangers, quels qu'ils soient, aux frontières nationales, simplement parce qu'ils sont étrangers. Le protectionnisme peut ainsi être utilisé à des fins purement nationalistes. Mais il peut aussi être utilisé afin de préserver l'environnement et de protéger les travailleurs en taxant non pas aux frontières nationales mais aux frontières européennes les produits réalisés sans respecter les normes environnementales et les règles de l'Organisation Internationale du Travail (interdiction du travail des enfants, conditions de travail décentes, etc.).

Certains libéraux veulent ouvrir les frontières aux marchandises mais les fermer aux hommes et leur libéralisme économique se double d'une xénophobie mortifère. La démondialisation financière et marchande est, elle, fondamentalement humaniste. Elle refuse la mise en concurrence des travailleurs de pays importateurs avec ceux des pays exportateurs, tente de les protéger aussi bien les uns que les autres et retrouve ainsi l'ambition de l'Internationale socialiste. Elle ne saurait verser dans une traque inhumaine des réfugiés pris dans les affres des guerres et de la misère. 

La démondialisation doit intégrer ceux qui cherchent refuges au sein d'un écosystème économique local revivifié. Elle doit protéger les plus faibles et repenser le rapport au travail en se doublant d'un revenu universel d'existence pour toutes et tous. Elle doit permettre d'articuler l'action locale et celle de l'Etat. Elle doit aider l'ensemble des acteurs politiques et économiques à sortir de l'addiction à la recherche effrénée des profits et du mythe de la croissance illimitée. Elle doit savoir concilier la productivité indispensable à la relocalisation des filières stratégiques et la mise en oeuvre d'une véritable écologie politique. 

En définitive, la démondialisation sera écologique et humaniste ou elle ne sera pas.