vendredi 29 janvier 2021

Notre seuil démocratique de tolérance est atteint

L’exigence citoyenne de démocratie, de cohérence et de justice sociale face aux privations de libertés dues aux restrictions sanitaires est pleinement légitime. L'équation est simple : plus la démocratie fera défaut et moins les mesures imposées, quand bien même elles seraient indispensables, seront acceptables et acceptées. Notre seuil démocratique de tolérance est atteint.

La fable du monde d'après

Lors du premier confinement, un débat s'est engagé sur le "monde d'après". Nous étions nombreux, sceptiques, à ne pas croire à cette soudaine prise de conscience sociétale allant jusqu'au plus haut sommet de l'État. J'indiquais, le 28 mars 2020, qu'il n'y aura pas de monde d'après. Nous sommes entrés dans un continuum de crises successives qui, désormais, caractérise notre époque. Nous devons repenser notre agir collectif et individuel afin d'être collectivement et individuellement aptes à résister et à surmonter ces crises. Mais nous devons être aptes à vivre et à nous émanciper en temps de crise, précisément pendant celle que nous traversons, quelle que soit sa nature et ses effets. Je reprenais alors trois propositions connues de tous afin de nous permettre de traverser la crise actuelle en nous donnant les moyens d'anticiper celles à venir : 

1. Préserver nos contre-pouvoir et notre démocratie en temps de crise, ce qui implique de ne pas succomber à la tentation de l'État d'urgence.

2. Tendre vers une économie démondialisés et éco responsable. J'ai ensuite précisé en quoi la démondialisation ne peut être qu'écologique et humaniste.

3. Garantir un revenu universel à chacun. Et l'on voit aujourd'hui l'urgente nécessité de protéger les plus démunis et notamment les jeunes.

Dix mois plus tard, où en sommes-nous ? Le continuum de crise est bien là et, dans les Alpes-Maritimes d'où j'écris ces mots, nous avons été successivement submergés par la crise du Covid, l'attentat terroriste de la Basilique Notre Dame à Nice et la tempête Alex dans les vallées de la Tinée, la Vésubie et la Roya. Les atermoiements du pouvoir sont allés de mal en pis, infantilisant les citoyens et officialisant une gestion au coup par coup, sans aucun point de repère tangible dans un océan d'incertitudes. Le changement radical permettant de reconnaitre l'importance et de mieux rémunérer celles et ceux assurant des fonctions essentielles n'a pas eu lieu. Pire, le chômage partiel, les faillites et le recours aux minimas sociaux ont explosés. Des pans entiers d'activités faisant le propre de notre humanité ont été déclarés non essentiels comme l’art et les spectacles ou l'enseignement et la recherche universitaires, sans pour autant que les activités reconnues essentielles ne soient revalorisées. Le changement radical permettant de relocaliser les productions stratégiquement indispensables n'a pas eu lieu. La prise de conscience écologique est restée lettre morte. Après la pénurie des masques et la lenteur des tests vint la farce des vaccins. Ceux qui s'avèrent incapables de gérer la crise sont, de fait, inaptes à la surmonter. Les dégâts économiques, sociaux et psychologiques engendrés par cette non gestion de crise sont terribles. Et lorsque les citoyens exercent leur esprit critique et s'interrogent légitimement sur les mesures gouvernementales le Président voit en eux des "procureurs", formalisant ainsi une défiance des gouvernants face à la simple expression de la citoyenneté des gouvernés.

Homme providentiel, État d'urgence et décisionisme : une pensée d'extrême droite

Dans un fonctionnement démocratique normal, le parlement aurait voté, après le premier confinement, les mesures et dispositifs à mettre en place en cas de propagation faible, forte ou critique du Covid-19, avec des seuils clairement définis et les contraintes sanitaires correspondantes. Les citoyens, dûment représentés et correctement informés, auraient su à l'avance ce qui allait advenir au fur et à mesure de l'évolution de la contagion. Au lieu de cela, sous couvert d'un état d'urgence sanitaire fallacieux, nous assistons à une mise en scène du pouvoir aux mains d'un seul. Les citoyens sont contraints d'attendre ses allocutions télévisées comme celles d'un oracle, dans une fausse urgence sans cesse entretenue. Nous devons modifier notre mode de vie du jour au lendemain et plus l'incertitude perdure et plus la prédominance de celui qui décide en dernier ressort est grande. Emmanuel Macron a saisi l'opportunité de s'assurer enfin une stature de chef d'État, reprenant volontairement un vocabulaire martial et nous déclarant "en guerre". Plus cette situation d'urgence dure, plus l'effort de guerre demandé est lourd, et plus le citoyen accepte de suspendre l'exercice de sa citoyenneté et de s'en remettre à l'homme providentiel qui, seul, guide le peuple. Mais ce calcul du pouvoir est un jeu dangereux. Il pousse le citoyen dans ses derniers retranchements et, passé le discours culpabilisateur, la menace à peine voilée se fait jour : refuser d'obéir aveuglément fait automatiquement de vous un dissident.

On nous explique gentiment qu'un fonctionnement démocratique normal ne nous permet pas de faire face à une situation de crise où il faut prendre des décisions en urgence. On justifie ainsi le transfert des compétences du pouvoir législatif au pouvoir exécutif. On décrète un état d'urgence que l'on renouvelle sans cesse, devenant peu à peu permanent. La légitimité des décisions jusqu'alors fondée sur la représentativité des parlementaires n'est plus. C'est la décision seule qui préside et non la norme. Or l'histoire des idées politiques a une mémoire et cette théorie porte un nom : le décisionisme. Étrange mise en garde de l'Histoire, elle fut principalement portée par des penseurs d'extrême droite, Carl Schmitt en tête, théoricien du parti Nazi. Carl Schmitt écrivait : "Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle". Entretenir une situation exceptionnelle sans cesse renouvelée par de nouvelles menaces permet ainsi de maintenir la figure du souverain et, de fait, la servitude, volontaire ou non, des gouvernés. Cette suspension de la démocratie est contraire avec tout ce qui fait l'identité politique de la France et rompt avec la séparation des pouvoirs. Elle prive le citoyen de l'exercice de sa citoyenneté. Elle n'est démocratiquement pas acceptable. Ce n'est pas cela, la démocratie.

Le seuil démocratique de tolérance

Nous avons accepté le premier confinement, puis le second. Nous avons accepté dociles, de ne sortir qu'une heure par jour dans un rayon d'un kilomètre. Nous avons accepté les auto-attestations vides de sens, les contrôles de police et, dans certaines villes, les drones et les haut-parleurs. Nous avons subi le discours martial, les déclarations de guerre contre un ennemi invisible, les laisser-passer et les couvre-feux. Nous avons été infantilisés et culpabilisés. Nous nous sommes résolus à ne plus nous voir, à nous priver de nos proches, à nous priver d'une part de nous-même en nous privant de relation sociale et de chaleur humaine. Des couples séparés par un confinement trop soudain, des séniors isolés, des jeunes privés d'avenir. N'y avait-il réellement aucune autre alternative ? Des accouchements avec masque et présence interdite du père, des mariages sans cesse reportés, des décès en EHPAD avec présence interdite ou très limitée de la famille. Est-ce ainsi que nous voulons vivre ?

Nous sommes prêts à bien des sacrifices encore mais il faut que les décisions prises soient partagées, que nous soyons consultés et que nos représentants aient un réel pouvoir de décision. Il ne s'agit pas de tirer au sort une trentaine d'entre nous pour donner le change. Il ne s'agit pas de reporter sans cesse les élections comme si la vie démocratique et notre pouvoir de décision étaient subsidiaires. Nous sommes prêts à participer encore davantage à notre lutte commune contre la propagation du virus mais encore faut-il que des explications claires et probantes nous soient données :

- Qui est en mesure de démontrer que le risque de contamination est plus grand assis dans une salle de théâtre, en respectant gestes barrières et distances physiques, que dans la file d'attente d'un supermarché ? 

- Qui peut démontrer que le risque de contamination est plus grand à 18h30 qu'à 17h30 ? 

- Qui peut nous expliquer pourquoi écouter un quatuor de Schubert à l'opéra est interdit quand aller au Puy-du-Fou est permis ? 

- Qui rendra des comptes sur la fermeture inutile des librairies quand les bureaux de tabacs restaient ouverts ? 

- Qui justifiera la mise économique à mort des clubs de sports amateurs quand les clubs professionnels jouent et passent à la télé ? 

- Qui nous prouvera qu'il est logique de fermer les restaurants respectant gestes barrières et distances physiques quand les cantines sont ouvertes ?

- Qui viendra expliquer pourquoi une manifestation contre une mesure gouvernementale est interdite pour raisons sanitaires quand le gouvernement appelle lui-même à manifester contre le terrorisme suite à un attentat ? 

- Qui rendra des comptes sur l'inadmissible fermeture des universités ? 

- Qui osera mettre dans la balance, de façon étayée, les conséquences économiques, sociales et psychologiques des restrictions sanitaires et leur efficacité démontrée ?

- Qui peut, enfin, nous démontrer que l'on agit avec autant d'énergie et de moyens pour lutter contre les autres principales causes de mortalité que contre la Covid ? 

Nous pourrions continuer longtemps la liste des incohérences, iniquités, décisions arbitraires et absurdes que nous subissons au quotidien.

Avant de proposer de prolonger des restrictions sanitaires et de reconfiner à nouveau, il faudrait a minima démontrer l'utilité des mesures sanitaires déjà prises, des couvre-feux et des confinements précédents.

Porter le masque, limiter les relations sociales, se confiner partiellement ou totalement, tout cela ne peut être sérieusement envisagé que s’il est prouvé, à l'issu d'un débat contradictoire libre et non faussé et d'un vote des parlementaires non tronqué, que ces mesures sont réellement indispensables et qu'il n'y a aucune autre alternative. 

L’exigence de démocratie, de cohérence, de transparence et de justice sociale face aux privations de libertés et aux atteintes à la vie privée provoquées par les restrictions sanitaires est pleinement légitime.

L’équation est simple : plus la démocratie fera défaut et moins les mesures sanitaires imposées, quand bien même elles seraient indispensables, seront acceptables et acceptées.

Aujourd'hui la réalité à est là : notre seuil démocratique de tolérance est atteint. 

lundi 4 janvier 2021

Xénophobie municipale à Nice

Christian Estrosi m'attaque à nouveau en justice. Le prétexte ? J'ai constaté que Nice avait un maire xénophobe, c'est-à-dire "hostile aux étrangers". Or l'analyse de la politique menée à Nice le confirme amplement. Y a-t-il une xénophobie municipale à Nice ? Audience le 11 janvier à 13h30 au TGI de Nice.

Certains détenteurs du pouvoir n'aiment pas les voix qui dérangent. Après m'avoir fait condamner à verser plus de 10 000 € pour avoir osé dire qu'il fallait mettre fin à la corruption à Nice (j'ai fait appel de cette décision sidérante), Christian Estrosi m'attaque en justice pour injure publique car j'ai dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : Nice a un maire xénophobe.
Le prétexte de cette nouvelle action en justice à mon encontre est un tweet de campagne électorale pour les municipales daté du 15 février 2020. Après un sondage où la liste dont j'étais membre n'était pas dans le trio de tête j'ai exhorté les électeurs à réagir :
"Un dernier sondage place C. Estrosi en tête, suivi de P. Vardon et JM Governatori : un maire xénophobe qui a surendetté la Métropole, un extrémiste identitaire et un affairiste prêt au pire. Amis Niçois, la servitude volontaire n'est pas une fatalité, votez @vivanice2020 ;-)"
On notera au passage que Christian Estrosi ne conteste pas avoir surendetté la Métropole. Par contre il estime que dire qu'il est un maire xénophobe est une injure publique.
Or il s'agit là d'un simple constat :

1. Le mot "xénophobe" n'est pas une injure
Si traiter quelqu'un de "raciste", de "facho" ou de "nazi" comporte une dimension péjorative, le terme "xénophobe", lui, n'est ni insultant ni injurieux. D'ailleurs, aucun dictionnaire ni aucune encyclopédie ne mentionne d'usage péjoratif à ce mot.
La xénophobie est, étymologiquement, un composé de deux mots de grec ancien : la peur (phobos) de l'étranger (xénos). Elle relève donc avant tout du domaine du ressenti et de la psychologie.
"Xénophobe", selon le Larousse, le Robert ou l'Encyclopédie Universalis, se dit de quelqu'un "qui est hostile aux étrangers", qui manifeste une attitude ou un comportement hostile vis-à-vis des étrangers ou de ce qui vient de l'étranger, de l'extérieur.
A la différence du racisme ou du racialisme, la xénophobie ne se réfère pas à une théorie des races, à l'eugénisme ou à toute forme élaborée et théorisée de supériorité d'une race sur une autre ou, de façon plus générale, de classification des êtres comme supérieurs ou inférieurs. Elle témoigne simplement d'un sentiment de crainte pour la préservation de sa propre identité et se manifeste par un phénomène de rejet de tout ce qui pourrait mettre en péril son identité.
La sociologie et la psychologie sociale nous apprennent que la xénophobie repose sur un ethnocentrisme faisant du groupe ethnique auquel on appartient le seul modèle de référence accepté. La figure de l'étranger rompant avec ce modèle de référence prend tour à tour, en France, le visage de l'immigré, du musulman, du Rom ou du migrant.
Politiquement, cela se traduit par des propos et des prises de décisions hostiles à ce qui est assimilé à l'étranger et par une sur-valorisation de l'identité locale. La politique menée à Nice répond pleinement à ces deux caractéristiques dominantes.

2. Une politique xénophobe à Nice
Christian Estrosi mène à Nice une politique hostile aux étrangers.

Il a pris plusieurs arrêtés municipaux significatifs :
- Arrêté interdisant les drapeaux étrangers durant la coupe d'Europe de foot (annulé par le Tribunal Administratif de Nice en 2014)
- Arrêté interdisant les mariages bruyants en visant explicitement les "you-you"
Arrêté anti-burkini (suspendu puis retiré suite à la décision du Conseil d'Etat cassant l'arrêté de Villeneuve Loubet du 26 août 2016)
Il mène une politique d'aménagement discriminante notamment en repoussant le plus longtemps possible le désenclavement du quartier sensible de l'Ariane.
Il s'acharne à faire fermer un lieu de culte musulman, la mosquée En-Nour, après deux enquêtes publiques biaisées et un refus de signer l'ouverture du lieu malgré le rappel à l'ordre de la justice et de la Préfecture. Pour mémoire, l'arrêt du conseil d'Etat du 30 juin 2016 concernant l'Institut Niçois En-nour stipule que la Ville de Nice s'est livrée à "une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale" qu'est la liberté de culte.

Si Christian Estrosi a, à raison, tout fait pour interdire les prestations de Dieudonné à Nice, la Ville de Nice a invité plusieurs fois Eric Zemmour à donner des conférences alors qu'il avait déjà été condamné pour incitation à la haine et qu'il le sera à nouveau ensuite.

Christian Estrosi a, en sa qualité de maire, déclaré à des Roms, en 2013, lors d'une altercation : "j'en ai maté d'autres, je vous materai". Il a ensuite envoyé à tous les maires de France un "mode d'emploi" pour lutter contre l'installation des Roms dans leur ville.

Il a déclaré sur Europe 1, à propos du droit de vote des étrangers aux élections municipales : "Ce qui me révolte le plus, c'est donner le droit de vote à des personnes qui haïssent la France" affirmant ainsi que tous les étrangers non communautaires résidant en France haïssent la France.
Toujours en 2013, il a affirmé que "L'islam est totalement incompatible avec la démocratie", sans opérer aucune distinction entre "islam" et "islamisme".
La xénophobie, hostilité envers toute personne assimilée à la figure de l'étranger, appliquée en terme de gestion d'une collectivité territoriale, n'est donc pas une affaire d'étiquette politique : même si Nice n'est pas dirigée par le Rassemblement National, il y a bien une "xénophobie municipale" à Nice en tant que politique publique.

3. Des faits déjà constatés et dénoncés :
Suite à ses propos sur les Roms et sur l'islam en 2013, SOS Racisme et le MRAP ont déposé plainte contre Christian Estrosi pour incitation à la haine raciale et ses déclarations ont été largement dénoncées :

François Lamy, alors ministre de la ville a déclaré que les propos de C. Estrosi étaient "imbéciles et dangereux".
David Assouline, alors sénateur et porte parole du PS a déclaré : « tout, dans la diatribe de M. Estrosi, sent mauvais. La xénophobie suggérée, l’appel presque assumé à se faire justice soi-même, le phrasé anti socialiste primaire, la remise en cause de la laïcité à propos de l’islam. L’extrême droite ne peut pas faire beaucoup mieux. Mais comme à chaque fois, c’est elle qui tirera les marrons du feu »
Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur, a déclaré : « Les propos du maire de Nice sont l’émanation d’une politique passée qui a fait du mal à la France, celle de l’amalgame et de la stigmatisation ».
Lutte ouvrière a dénoncé la "démagogie xénophobe" de C. Estrosi suite à ses propos sur la "cinquième colonne islamiste en France".
De nombreuses plaintes ont été déposées par des membres de la communauté Tchétchène et par la Ligue des Droits de l'Homme contre Christian Estrosi en juillet 2020, suite à ses propos sur BFM stigmatisant la communauté tchétchène dans son ensemble, qui, selon lui, "lutte pour avoir le monopole du marché de la drogue".
Je suis donc loin d'être le seul à avoir constaté la xénophobie du maire de Nice même si je suis étrangement le seul qu'il attaque en justice.
La xénophobie est un fait social. Dire qu'une politique publique est xénophobe est fondé dès lors que l'on constate qu'effectivement cette politique est hostile aux étrangers. Un maire xénophobe est un maire qui met en œuvre une telle politique. Or cette xénophobie municipale engendre des discriminations qui brisent l'égalité républicaine et portent atteinte aux libertés individuelles et à la fraternité. Dénoncer et lutter contre les discriminations est le devoir de tout citoyen.

L'évaluation citoyenne des politiques menées nationalement comme localement devrait donner lieu à des débats publics argumentés permettant à chacune et chacun de se forger sa propre conviction. La judiciarisation excessive de la vie publique ampute le débat démocratique et menace la liberté d'expression individuelle et collective. 

Audience le 11 janvier à 13h30 au Tribunal de Grande Instance de Nice.