jeudi 24 juin 2021

Le front républicain, ça se mérite

Un front républicain ne peut être constitué qu'entre républicains. Or une partie de la droite française s'est peu à peu convertie aux idées d'extrême droite. Il revient à la droite de faire barrage à l'extrême droite dans ses propres rangs avant de pouvoir légitimement exiger des forces politiques de gauche et écologistes un front républicain et des électeurs humanistes un vote en sa faveur.

Malheur à celui qui arrive troisième ! C’est un peu le leitmotiv des élections. Depuis que l’extrême droite est devenue en France le premier parti d’opposition, cette malheureuse place incombe à la gauche. Nous pourrions deviser longtemps sur la responsabilité de la gauche dans la perte de son rang et dans l’avènement du Rassemblement National mais cela ne résoudra pas l’ultimatum du moment. Car c’est bel et bien d’un ultimatum qu’il s’agit, imposé aux partis devant ou non se désister comme aux électeurs tiraillés entre le vote du moindre mal, le vote blanc ou l’abstention.

Mais l’injonction de faire barrage à l’extrême droite en constituant un Front Républicain pose une autre responsabilité : celle de la droite elle-même. Un front républicain ne peut être réalisé qu’entre… républicains. Or une part croissante de la droite française a quitté depuis longtemps les rivages du républicanisme. La droite française est désormais scindée en deux camps : une droite traditionnelle, gaulliste, modérée, ne transigeant jamais avec les idées d’extrême droite, et une droite extrême, reprenant largement à son compte une bonne part de la doxa d’extrême droite.

Face à la montée électorale de l’extrême droite, si la droite extrême a remporté des succès électoraux et a endigué la progression du RN sur ses terres c’est en réalité en reprenant à son compte les fondamentaux de l’extrême droite. Electoralement parlant, le résultat est probant puisqu’ils triomphent dans les urnes. Mais le problème est d’une autre nature. Il est éthique : on ne combat pas l’extrême droite en faisant la promotion et en appliquant les idées d’extrême droite. Ainsi la mainmise électorale d’un Éric Ciotti ou d’un Laurent Wauquiez est une victoire en trompe l’œil : si cette droite là laisse peu de place au RN c’est qu’elle s’est en réalité convertie à l’extrême droite. Les succès électoraux de la droite extrême française constituent au final une victoire de l’extrême droite. Or il ne s’agit pas ici seulement d’une « banalisation » des idées d’extrême droite mais d’une extension du domaine de la haine, du rejet de l’autre, du culte de l’autorité, d’un tout-sécuritaire omniprésent, de l’exacerbation d’un identitarisme culturel et ethnique mortifère.

La droite française ne sera légitime à faire injonction à la gauche et à l’écologie de faire barrage à l’extrême droite que lorsqu’elle aura elle-même fait barrage à l’extrême droite dans son propre camp, dans ses propres rangs, et qu’elle aura tracé une ligne rouge à ne pas franchir entre le républicanisme et l’extrême droite.



De son côté, le camp de la gauche et de l’écologie s’est entre-déchiré en un éclair, enfermé dans les tourments d’un lendemain de premier tour électoral en PACA. On a vu fleurir, en ce début d’été, des champs d’anathèmes. On a récolté des invectives et des excommunications par foison. Peut-on seulement entendre que chacune des deux positions contraires, le maintien ou le retrait, se défendait légitimement ? Certains, bardés de certitudes, inaptes à vaincre droite et extrême droite, ont pris un plaisir inavoué à accabler ceux de leur propre camp qui, sur le terrain, étaient pris par le doute.

En vérité le devoir moral qui soudain incombait à la gauche et à l’écologie n’aurait pas dû leur incomber, ou du moins pas à elles seules. Si la droite, en PACA, avait de façon irréprochable et dans une clarté sans cesse renouvelée, fait barrage dans son propre camp aux idées d’extrême droite, la gauche et l’écologie auraient sans aucune hésitation constitué le fameux front républicain tant demandé.

La progression des idées d’extrême droite en France est telle que les lignes sont brouillées partout. L’extrême droite a semé ses graines dans les médias, dans la droite républicaine, dans la majorité présidentielle mais aussi à gauche. Il suffit de regarder CNEWS, de lire de contenu des lois dites de sécurité globale ou sur le séparatisme ou d’écouter un discours de Manuel Valls pour le constater.

A la dédiabolisation du RN s’ajoute la diabolisation de La France Insoumise. Une partie de cette nouvelle extrême droite exige désormais un front républicain anti-France Insoumise. Le renversement des valeurs est à son comble et une nouvelle injonction est désormais faite à la gauche de se séparer de la France Insoumise (injonction qu’avait anticipé EELV en PACA en refusant toute alliance avec la FI dans la liste de Jean-Laurent Félizia).

Or les ressorts de cette diabolisation de la France Insoumise ne relèvent pas d’une conception différente de la stratégie de développement économique (libéralisme – antilibéralisme) ou d’enjeux stratégiques majeurs (fédéralisme européen - frexit) mais, au fond, du déferlement de l’accusation d’islamo-gauchisme par la droite mais aussi et surtout par La République En Marche et les membres du gouvernement.

Cette diabolisation et cette nouvelle injonction faite à la gauche et à l’écologie est révélatrice car elle repose sur le triomphe de thèmes sociétaux, identitaires et sécuritaires qui saturent l’espace médiatique : l’obsession de l’islam et de la laïcité, le renoncement aux libertés individuelles devant la menace terroriste ou le risque sanitaire, le renouvellement perpétuel d’états d’urgences successifs rompant avec la séparation des pouvoirs, les atteintes répétées aux droits de la presse, de l’opposition, des associations, des manifestants, etc.

Or c’est très précisément sur chacun de ces thèmes que la droite traditionnelle doit se démarquer de l’extrême droite. C’est là la condition sine qua non de la légitimité à la fois de sa demande aux forces politiques de constitution d’un front républicain et à la fois de sa demande aux électeurs humanistes d’un vote à sa faveur.

Mesdames et Messieurs les représentants de la droite encore républicaine, la balle est dans votre camp.