mardi 7 septembre 2021

Nice : expulsion locative injuste et arbitraire

Anthony Borré, premier adjoint à la Ville de Nice et président de Côte d'Azur Habitat, principal bailleur social de la ville, annonce fièrement dans les médias avoir obtenu l'expulsion d'une mère de famille dont le fils, majeur, est un délinquant. Il explique à qui veut l'entendre combattre ainsi les "ennemis de la République", expression utilisée par Emmanuel Macron pour désigner les djihadistes.

Le jeune en question a été condamné à 20 mois de prison par la justice. Mais sa mère, elle, n'a commis ni délit ni crime. Elle n'a pas été reconnue coupable par un tribunal. Ce n'est pas une terroriste. C'est juste une mère de famille dont le fils a mal tourné et est devenu dealer. Elle est pourtant sanctionnée par Côte d'Azur Habitat qui va l'expulser et la mettre à la rue pendant que son fils, lui, sera incarcéré. 

Cette double peine est choquante pour au moins quatre raisons :

1. Une sanction injuste :

C'est l'idée même de justice qui est en jeu : on ne doit sanctionner quelqu'un que pour les actes qu'il a commis et non pour ceux commis par d'autres personnes. Des parents sont légalement responsables des actes de leurs enfants quand ceux-ci sont mineurs, ce qui n'est pas le cas ici. 

Cette dame n'a été condamnée ni au civil ni au pénal mais Côte d'Azur Habitat la sanctionne en inventant ainsi une "condamnation sociale" nouvelle : l'expulsion pour des faits commis par un proche. 

Sa seule faute serait donc d'avoir un fils délinquant. Or combien de parents ne sont pas parvenus à empêcher la dérive de leur enfant ? Combien ont demandé, en vain, l'aide des pouvoirs publics ? C'est d'aide et d'accompagnement dont ils ont besoin et non d'une mise à la rue. Le droit au logement est un droit, non la contrepartie d'un comportement jugé ou non méritant.

2. Un consentement contraint :

Cette expulsion a été validée par un tribunal comme conforme au nouveau règlement intérieur du bailleur social. Mais ce nouveau règlement rendant possible l'expulsion de toute une famille si l'un des occupant du logement a commis un délit a été modifié unilatéralement par Côte d'Azur Habitat. 

Les bénéficiaires de logement sociaux n'ont pas eu le choix : soient ils acceptaient cette modification soit ils se retrouvaient à la rue. Un consentement obtenu sous contrainte n'est pas un consentement. 

Si cette décision a été jugée légale au regard de l'application de ce nouveau règlement intérieur, elle n'en n'est pas pour autant légitime. 

3. Une décision arbitraire et illégitime :

Qui est Anthony Borré pour s'arroger le droit de décider qui est et qui n'est pas un "ennemi de la République" ? Que recouvre cette notion utilisée par Emmanuel Macron pour désigner les djihadistes lors de son allocution sur le séparatisme ? S'applique-t-elle à Nice à tous les délinquants, y compris ceux en cols blancs, ou uniquement aux familles pauvres des quartiers défavorisés ?

En réalité ni des élus locaux ni un bailleur social ne doivent se substituer à la justice et infliger des condamnations sociales à des personnes innocentes.

Il s'agit là d'une dérive manifeste dans l'exercice du pouvoir local. Cette pratique n'est possible que par le cumul du mandat d'élu et de la fonction de président d'un bailleur social, cumul qu'il faudrait interdire.

4. Une stratégie de diversion :

La surmédiatisation de cette expulsion inique relève d'une stratégie de communication ayant pour but de masquer une double réalité : 

- La volonté de la Ville de Nice de ne pas créer suffisamment de logements sociaux. Nice n'a en effet que 12,5% de logements sociaux quand la loi en exige 25%. Si 16 000 niçois sont sur des listes d'attente pour obtenir le logement social auquel ils ont droit, ce n'est pas parce que ces logements sont occupés par des personnes qui "ne le méritent pas", mais parce que la municipalité refuse de se mettre en conformité avec la loi.

- L'incapacité de la Ville de Nice a endiguer les réseaux structurés de trafiquants de drogue et à garantir la sécurité des habitants de quartiers délaissés. Ce n'est pas un hasard si cette affaire a eu lieu à l'Ariane. La Ville de Nice a abandonné la politique de prévention au profit d'une politique de répression. Elle a dépensé des sommes folles en vidéo surveillance et en outils technologiques toujours plus nombreux et plus onéreux. Or les résultats chiffrés d'une baisse significative de la délinquance sont désespérément absents.

On voudrait donc que l'opinion publique se focalise sur cette expulsion et non sur l'échec flagrant de la politique menée dans la cinquième ville de France. Il est en effet toujours plus facile de sanctionner les plus faibles que d'assumer ses responsabilités.