dimanche 1 novembre 2020

Après l'attentat de la basilique Notre Dame à Nice, six erreurs à ne pas commettre

L'attentat de la basilique Notre Dame à Nice a donné lieu à une surenchère de propositions contraires aux valeurs de la République et de la démocratie françaises. Ces propositions donnent raison au terrorisme en incitant à renoncer de nous-même à défendre ce que le terrorisme combat : l'Etat de droit, la liberté, l'égalité, la laïcité, l'accueil et l'esprit des Lumières.

Ils s'appelaient Nadine, Simone et Vincent, trois niçois assassinés lors de l'attentat islamiste du 29 octobre 2020. Après l'attentat du 14 juillet 2016 faisant 86 victimes, Nice est à nouveau endeuillée. L'attentat de la basilique Notre-Dame nous a plongés dans l'effroi et la sidération devant l'horreur. Quasiment en même temps que les informations tombaient, les discours de Christian Estrosi et d'Éric Ciotti, incitaient à renoncer à la défense des droits de l'homme et aux libertés individuelles pour lutter contre le terrorisme. Le soir même, à Nice, une manifestation identitaire aux propos clairement islamophobes était organisée en toute impunité. Déjà, après la décapitation de Samuel Paty, le concours des propositions sécuritaires les plus invraisemblables était lancé. De la transformation de la laïcité en sécularisation à la reprise décomplexée des idées d'extrême droite, une grande partie de la classe politique et médiatique accélérait sa dérive. Le gouvernement qui avait lancé des accusations irresponsables d'islamo-gauchisme contre une partie de la gauche et contre l'université poursuit sa volonté d'asseoir un contrôle politique sur le savoir et sur la recherche.

Il est temps de dire stop et de revenir à la raison. Pour l'esprit des Lumières, pour ce qui fait les valeurs de notre République, la tolérance, les libertés, l'égalité et la fraternité, pour pouvoir lutter efficacement contre le djihadisme, et pour Nice, ma ville.

Six erreurs à ne pas commettre :

1. Ne pas renoncer à l'Etat de droit

Ce qui différencie, entre autres, un État de droit de la barbarie, c'est qu'il agit dans le respect du droit. Le terrorisme islamiste combat la liberté et l'égalité. Il combat la démocratie. Si la France, démocratie et, aux yeux du monde, symbole de la démocratie, renonçait d'elle-même à ce qui fait son identité de "pays des droits de l'Homme", elle offrirait la plus belle des victoires au terrorisme.

Lorsque Christian Estrosi annonce devant la basilique Notre-Dame, une heure à peine après l'attentat, que les "droit-de-l'hommistes" empêchent de lutter contre le terrorisme, quand Eric Ciotti déclare une heure plus tard que les "prétendues libertés individuelles protègent les terroristes", ils font très précisément ce que les djihadistes espèrent et ils leur offrent une victoire idéologique déterminante.

Lorsque que Christian Estrosi appelle à un "droit de guerre" et qu'Éric Ciotti, propose d'ouvrir un "Guantanamo à la française" pour les personnes radicalisées ayant purgé leurs peines carcérales ou étant fichées "S", alors que Guantanamo symbolise précisément le renoncement à toutes les règles de droit, le recours à la détention illégale et à la torture, et alors que ni l'auteur de l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine ni celui de l'attentat de Nice n'étaient connus des services de police ou étaient d'anciens détenus, on touche à l'absurde.

2. N'ajoutons pas de la haine à la haine 

La manifestation identitaire qui s'est déroulée le soir même de l'attentat, à Nice, alors que le confinement interdit toute manifestation publique non déclarée dans les temps, n'aurait pas dû avoir lieu. On y a entendu des propos clairement islamophobes : "On est chez nous" suivi de "islam hors d'Europe". La situation à Nice est plus que tendue entre d'un côté l'incrimination, faite par certains, de toute personne de confession musulmane ou supposée l'être car d'origine maghrébine et, de l'autre, des provocations de personnes défendant à demi-mots le terroriste. Déjà, l'attentat du 14 juillet 2016 avait donné lieu à Nice à des tensions et des invectives, sans compter les polémiques politiciennes indécentes (lire ici). Toute incitation à ces excès fautifs, d'un côté comme de l'autre, est irresponsable et dangereuse.

De même la mise en place d'un numéro vert par le ministère de l'intérieur pour dénoncer toute soupçon de radicalisation présente un risque de délation généralisée et peut servir de prétexte pour régler des litiges personnels, nuire à des personnes sous prétexte qu'elles sont de confession musulmane, etc. Nous devons préserver l'unité nationale et non attiser la défiance. 

Notre constitution prévoit l'égalité des citoyens devant la loi sans distinction d'origine, de race ni de religion et nous pourrions y ajouter "sans distinction de genre". Cette égalité républicaine doit être protégée. Y renoncer est un non-sens. Or stigmatiser des personnes innocentes parce que d'autres personnes instrumentalisent à des fins terroristes la religion à laquelle elles croient, c'est enfreindre l'égalité républicaine. L'islamophobie, point de convergence des haines (lire ici) doit être combattue au même titre que l'antisémitisme, l'homophobie ou tout autre forme de discrimination. Le fondamentalisme islamiste est porteur de haine et de souffrance. N'y répondons pas par la haine. Ne devenons pas semblables à ceux que nous combattons.  

3. Combattre le terrorisme, pas les musulmans

Christophe Castaner énonçant le 8 octobre 2019 une liste de comportements indiquant une radicalisation parmi lesquels le port de la barbe, Michel Blanquer, expliquant le 13 octobre 2019 que l'éducation nationale doit signaler tout comportement anormal parmi lesquels celui d'un petit garçon qui, à l'école, refuserait de donner la main à une petite fille ou Gérald Darmanin, le 21 octobre 2020, se disant choqué de voir des rayons "communautaires" dans les supermarchés : autant d'éléments attestant d'un amalgame aussi stupides que dangereux entre islam et islamisme de la part de ministres en fonctions. En procédant ainsi on stigmatise injustement les français de confession musulmane et on s'empêche, en se trompant d'ennemi, de lutter efficacement contre le terrorisme.

Parler de "radicalisation" et d'islam "radical" laisse penser qu'il n'y a qu'une différence de degrés et non une différence de nature entre l'islam et l'islamisme, entre l'islam et le terrorisme. On serait musulman et on pourrait devenir peu à peu islamiste ou terroriste. Pire, tout musulman serait un terroriste potentiel. Et comme tout maghrébin est, dans l'inconscient collectif, supposé être musulman, le jeu des amalgames amène à banaliser le racisme anti-arabe sous couvert de lutte contre le terrorisme. Il serait plus juste de parler de processus de "djihadisation" que de "radicalisation" (lire ici). 

Il ne s'agit pas ici de soutenir que le terrorisme islamiste n'a rien à voir avec l'islam puisqu'il s'en réclame. Mais si des attentats sont revendiqués au nom d’une religion, cela ne veut pas dire que cette religion contiendrait intrinsèquement le germe de son dévoiement. L'instrumentalisation d'une croyance pour asseoir une domination politique n'est pas un phénomène nouveau. Que l’on se souvienne des Croisades, de la Reconquista, de la torture sous l’Inquisition ou de la Saint Barthélémy. On parle aujourd'hui "d'islam politique" mais on ne parle pas en désignant cette époque de "christianisme politique". De même quand l'Etat l’Israël mène une politique d'extension des colonies juives dans les territoires occupés, on ne parle pas de "judaïsme politique". Il s'agit d'entreprises politiques qui cherchent dans la religion une justification à leur tentatives de domination. L'Histoire a démontré que l'on peut se servir de toute religion ou idéologie quelle qu'elle soit, en la dénaturant et en l'instrumentalisant à des fins politiques. Que l'on se souvienne également du décalage entre l'idéal communiste et les goulags staliniens... 

Alors que les millions de français de confession musulmane démontrent au quotidien que la pratique de leur foi ne menace par la Nation, la légitimation, l'organisation et l'institutionnalisation de l'islamophobie en France par le Président de la République et par le gouvernement constitue une faute politique majeure.

4. Ne pas dénaturer la laïcité

Imaginons que l'on renonce, demain, à la loi de 1905 et que tout signe religieux soit interdit dans l'espace public, au travail et dans les administrations. Plus de voile, de burka, de burkini, plus la moindre coiffe de nonne, croix, kippa ou étoile de David. Les attentats cesseront ils en France ? A l'évidence non, et la laïcité la plus dure n'empêchera jamais le fanatisme de frapper. 

La laïcité n'est pas un instrument de lutte contre le terrorisme. Elle n'est pas la négation du fait religieux, elle garantit au contraire la liberté de culte et de conscience de chacun dans le respect de la loi. Elle demeure avant tout un principe émancipateur. Transformer la laïcité en posture anti-religieuse serait en réalité abandonner la laïcité au profit d'un processus de sécularisation. De même, la volonté des gouvernements successifs de réformer l'islam de France et de former les imams est contraire au principe de laïcité (lire ici). 

La laïcité ne doit servir ni de compensation à notre frustration collective de ne pouvoir éradiquer la menace terroriste, ni de paravent à un racisme anti-arabe qui profite de la peur des attentats pour se répandre. Elle ne doit pas non plus servir de prétexte pour réaffirmer la prédominance de l'identité religieuse chrétienne de la France contre l’islam comme le font, à la suite de Nicolas Sarkozy, Eric Ciotti (lire ici) ou Christian Estrosi (lire ici et ici). La laïcité n'est pas à géométrie variable et l'affirmation quasi obsessionnelle de la primauté de la culture chrétienne sur l'islam ne peut que contribuer à entraver encore un peu plus le vivre-ensemble. La logique de guerre des civilisations est ainsi importée en France au travers une néfaste guerre des identités. 

5. Ne renoncer ni à l'asile ni à la protection de l'enfance

L'auteur de la tentative d'attentat devant les anciens locaux de Charlie Hebdo était un mineur isolé étranger. L'auteur de la décapitation de Samuel Paty faisait partie d'une famille ayant obtenu l'asile lorsqu'il était âgé de 10 ans. L'auteur du second attentat de Nice est un tunisien passé par l'Italie. Certains en concluent à la nécessité de renoncer à la protection de l'enfance des mineurs isolés étrangers, proposent de stopper l'application de la convention de Genève et de renoncer au droit d'asile ou de fermer nos frontières.

Or il est malheureusement possible que, demain, de nouveaux djihadistes auteurs d'attentats ou de tentatives d'attentat en France soient français, comme cela a été le cas dans le passé. A Nice, de nombreux français dont certains récemment convertis, se sont laissés embrigader dans la cellule de recrutement d'Omar Omsen. Nous avons subi, en France, un terrorisme commandité par des Etats étrangers, un terrorisme organisé par des mouvements djihadistes, puis des actes terroristes émanant de personnes isolées sans forcément de commanditaires extérieurs, tout autant commis par des français, des personnes de nationalité étrangère résidant légalement en France ou des personnes migrantes arrivées récemment. Le caractère protéiforme du terrorisme le rend encore plus difficile à combattre. Mais faire croire que chasser les étrangers et fermer les frontières permettra d'éradiquer tout phénomène terroriste est un leurre.

De plus, de très nombreux migrants fuient le fondamentalisme. De nombreux bénévoles associatifs à Nice, et j'en fais partie, accompagnent et accueillent des jeunes filles promises à des mariages forcés, des mères voulant protéger leurs filles de l'excision, des personnes évadées des prisons de Boko Haram, de jeunes homosexuels ayant subi des sévices et des séquestrations suite à l'application de la charia, etc. Nous ne devons pas renoncer à notre tradition d'accueil ni au respect des conventions internationales qui permettent aux victimes du fondamentalisme de trouver refuge en démocratie. Mais comment alors se prémunir de l'intrusion de djihadistes parmi les exilés ? Une fermeture totalement étanche des frontières est illusoire et n'est pas souhaitable. Il est, par contre, totalement contre-productif de laisser des personnes dans l'attente de l'examen de leurs demandes pendant des mois sans que personne n'ait pu les recevoir de façon adéquate ni réellement étudier leur situation. Les délais de traitement des procédures d'asile sont indécents mais lorsque le gouvernement a tenté de légiférer pour accélérer la procédure avec la loi asile-immigration portée par Gérard Collomb, cela s'est soldé par des procédures bâclées, non seulement irrespectueuses des droits des demandeurs d'asile mais également inaptes à permettre la détection de personnes dangereuses. 

6. Ne pas contrôler politiquement le savoir et la recherche

Le ministre de l'éducation Jean-Michel Blanquer a proféré le 22 octobre 2020 des accusations graves et inacceptables contre l'université : "Ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme fait des ravages. Il fait des ravages à l’université, il fait des ravages quand l’UNEF cède à ce type de chose, il fait des ravages dans les rangs de La France insoumise (...). Ces gens-là favorisent une idéologie qui, ensuite, de loin en loin, mène au pire ». Cette accusation de "complicité intellectuelle avec le terrorisme" vient conforter un sentiment de défiance du gouvernement vis-à-vis du savoir, déjà exprimée par Emmanuel Macron à propos de l'histoire coloniale française dans la préparation de la loi sur le "séparatisme".

Dans la foulée, la sénatrice Laure Darcos (LR) a introduit un amendement à la loi de programmation de la recherche stipulant que « Les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République. »  Or la recherche et l'enseignement universitaire doivent rester indépendants de toute tutelle politique ! Les travaux d'un universitaire doivent être évalués par ses pairs et non par un bureau administratif d'un ministère. L'Université respecte déjà la loi. Preuve en est l'interdiction de travaux présentant un caractère négationniste ou les poursuites engagées à l'encontre de professeurs aux propos négationnistes. D'où vient donc ce besoin de réaffirmer le respect des valeurs de la République ? Qui définira en dernier ressort le contenu de ces valeurs pourtant objets de tant de débats et d'interprétations différentes ?  

Il y a là, sous prétexte de lutte contre l'obscurantisme, une inadmissible atteinte à liberté de penser, à l'esprit critique, à ce qui fait le ressort de l'esprit des Lumières. Encore une fois, le fondamentalisme étouffe toute la liberté d'expression. Le totalitarisme veut à tous prix contrôler chaque aspect de la vie de l'individu et de la société, à commencer par le savoir et par l'enseignement. Et pour lutter contre le totalitarisme islamiste, nous poserions une chappe de plomb sur l'Université française ? Nous imposerions un contrôle politique à la recherche en France ? C'est à la fois contradictoire et totalement contre-productif.

Combattre les ennemis de l'Etat de droit, de la liberté et de l'égalité, de la laïcité, de l'accueil et de l'esprit des Lumières ne doit en aucun cas nous conduire à renoncer nous-mêmes et de nous-même à l'Etat de droit, à la liberté et à l'égalité, à la laïcité, à notre tradition d'accueil et à l'esprit des Lumières.

lundi 14 septembre 2020

A Nice, les hauts-parleurs de la peur et de la colère

A Nice des haut-parleurs diffusent dans l'espace public des messages de la police municipale rappelant l'obligation du port du masque. Ces messages obsédants constituent une nuisance sonore pour les riverains qui les entendent de chez eux. Ils sont infantilisants et fortement anxiogènes. Ils s'ajoutent à une politique liberticide et contre-productive de contrôle permanent des individus.

A Nice des hauts-parleurs diffusent dans la rue des messages de la police municipale sur l'obligation du port du masque. 

Vous êtes chez vous par une douce soirée de fin d'été et, par la fenêtre ouverte, une voix métallique vient vous harceler jusque dans votre salon, vous empêchant même souvent de vous endormir. Les messages audio diffusés par la Ville de Nice, crachés par des hauts-parleurs à chaque lieu "stratégique" de la ville, constituent une véritable nuisance sonore pour les riverains, de 8h du matin à minuit. 

Vous ne sortez de chez vous que rarement. A la télé, dans les journaux, sur internet, tout le monde ne parle que de la "seconde vague" qui va déferler sur nous tel un tsunami. Tsunami de peur et d'angoisse. Angoisse qui vous prend rien qu'à l'idée de sortir faire une course. Et là, quand enfin vous être dehors et que vous vous apprêtez à avoir votre seule relation sociale de la journée, vous entendez la voix mécanique et glaçante qui vous rappelle le danger que vous encourez et qui appelle à la responsabilité. Vous croisez des personnes qui sont comme dépersonnalisées, qui ne sont plus tout à fait elle-mêmes, vous ne cessez de croiser des yeux sans visages. Puis, soudain, sur un banc, une voisine se repose et reprend son souffle, son masque baissée sous son menton. L'irresponsable qui nous met tous en danger ! Mais pourquoi donc la laisse-t-on faire ainsi ? Vite, vous retournez vous calfeutrer chez vous en trouvant un moyen de livraison pour avoir encore moins à sortir, et tant pis pour l'épicier du coin. Les messages diffusés par la Ville de Nice alimentent les peurs et contribuent à rendre notre société profondément anxiogène. 

Vous vous promenez dans les rues de Nice avec vos enfants. Vous leur avez plusieurs fois expliqué la situation. Vous avez tenté de calmer leurs craintes tout en les mettant en garde pour les protéger du virus. Vous savez que vous ne pouvez pas aller vous asseoir sur les quais, au port, car leur accès est interdit. L'été, vous savez que même l'accès aux plages, selon les horaires, est proscrit. Vous savez que telle ou telle place est grillagée et, selon l'heure de la journée, vous ne pourrez pas y aller. Vous savez que dans chaque rue, où que vous soyez, vous êtes filmés, que vos jeux avec vos enfants sont filmés et vus par des fonctionnaires de police municipale. Vous déambulez et vous entendez ce rappel à l'ordre constant, omniprésent, comme si vous étiez, vous aussi, un enfant, un idiot ou un irresponsable, comme si chaque citoyen était par avance considéré comme incapable d'exercer raisonnablement sa citoyenneté. La diffusion sonore de rappels à l'ordre par la Ville de Nice est infantilisante et liberticide.

A Nice, la police vous parle. Elle vous parle à chaque coin de rue, par des hauts-parleurs stupides qui répètent sans cesse les mêmes phrase. La police vous parle, même si vous n'avez rien fait de mal. Elle vous parle l'été, sur la promenade des Anglais, pour vous dire qu'il ne faut pas boire d'alcool ni mettre de la musique trop fort. Elle vous donne des consignes dans les rues sur le port du masque, même si aucune étude ne permet de savoir si ce matraquage obsédant a une quelconque efficacité. On veille sur vous. On vous surveille et on vous rappelle à l'ordre. Du coup, ce qui devrait être un geste responsable que la très grande majorité des personnes respecte d'elle-même, sous le coup de ces rappels à l'ordre incessants, devient obéissance à un ordre matraqué partout, tout le temps. Et, face à un ordre imposé, l'envie de désobéir vous prend, comme une colère sourde, contre cette société anxiogène, culpabilisante et liberticide. Combien de personnes ai-je entendu dire, dès que j'évoque ces hauts-parleurs, "moi, je n'ai qu'une seule envie, c'est de sortir une carabine et de les exploser !" ? Le matraquage obsédant de ces messages audio alimente la colère, la tension, et un sentiment de révolte profond. Et ce sentiment de révolte s'ancre chaque jour un peu plus, même chez des personnes légalistes qui se tenaient jusqu'à présent à distance de toute forme de contestation.

A Nice, les hauts-parleurs de la peur et de la colère alimentent une tension et une exaspération collective croissante, et personne ne sait comment elle se traduira. La municipalité poursuit son entreprise de contrôle permanent des individus, sans se rendre compte que ce harcèlement liberticide, anxiogène et infantilisant est contre-productif et aggrave la situation.

vendredi 17 juillet 2020

Non à l'interdiction d'accès aux plages de Nice le soir

Après différentes places grillagées, l'interdiction d'accès le soir à la Réserve, l'interdiction d'accès aux bords de quais, voici venue l'interdiction pure et simple d'accéder à la plage les soirs de week-end à Nice. Or interdire, ce n'est pas protéger. C'est pénaliser l'ensemble de la population et ne faire que déplacer le problème. Analyse d'un aveu d'échec sécuritaire.

Le maire de Nice et le Préfet des Alpes-Maritimes veulent interdire l'accès de tous aux plages de Nice, au Port et à la Réserve à partir de 22h les vendredi, samedi et dimanche.

La logique est simple : quelques-uns causent des troubles, on pénalise tout le monde. Au lieu d'assurer la sécurité des Niçois et des touristes au bord de mer, on leur interdit d'y accéder.

Comment une municipalité qui dépense un budget énorme pour la sécurité (90 millions d'euros en 2020), qui est l'une des villes ayant le plus de policiers municipaux et de caméras de vidéo surveillance, peut elle se déclarer par avance incapable de garantir la sécurité sur ses plages et son port ? A quoi sert donc de jouer les "Monsieur muscles politiques" quand on est inapte à protéger ses habitants ?

Le cœur du problème est là : interdire, ce n'est pas protéger.

Interdire l'accès à un lieu public, le clôturer avec des grilles, ne fait que déplacer le problème. Récapitulatif : des groupes de jeunes causent, selon la municipalité, des incivilités à la Réserve. On interdit à tous d'y accéder le soir en posant des grilles le 12 juin. Ces groupes se déplacent au Port et on interdit également à tous, vers le 25 juin, d'y accéder le soir. Ils s'installent ensuite sur les plages de la Promenade des Anglais, on interdit désormais l'accès aux plages pour tous. Et si, demain, ils causent des incivilités dans la vieille ville... on ferme le Vieux Nice ? Jusqu'où ira la logique de l'interdit à Nice ?

Christian Estrosi a grillagé le square Marshall, la place des Cigalusa, la place de l'armée du Rhin ou les marchés du Palais de Justice mais il ne fait à chaque fois que déplacer le problème vers des lieux proches. La culture de l'interdit et des espaces clos est un leurre sécuritaire.

En interdisant à tous d'accéder à l'espace public, Christian Estrosi accroît le pouvoir de nuisance des "fauteurs de troubles" : à cause d'eux et de l'inaptitude des pouvoirs publics, toute la ville est pénalisée. A vouloir systématiquement interdire et clôturer l'espace public, on s'enferme soi-même.

Et que dire des touristes que l'on cherche par tous moyens à faire venir pour sauver l'économie locale maladivement dépendante de la mono activité touristique ? Ils viennent à Nice mais ils ne pourront plus accéder au bord de mer après avoir dîné dans le Vieux Nice ? Quelle image de notre ville leur donne-t-on ?

"Homme libre, toujours tu chériras la mer" écrivait Baudelaire. La mer, c'est la liberté. L'accès au bord de mer provoque un sentiment d'évasion, d'ouverture sur l'immensité, avec toujours une intensité si particulière. La plage est souvent cet endroit à part où l'on s'extrait de l'agitation de la ville, où l'on retrouve les éléments naturels.

L'espace public permet, s'il est aménagé pour cela, de favoriser les échanges, le vivre ensemble et l'inclusion social de tous. En clôturant l'espace public et en interdisant d'y accéder, Nice renonce tout à la fois à développer le lien social, à devenir une ville hospitalière et à garantir la sécurité de tous (lire ici). Elle devient une succession d'espaces clos, un lieu de déshumanisation et de ségrégation anti-SDF. Elle renonce à la politique de prévention qui lui incombe.

De plus, Christian Estrosi et son équipe stigmatisent systématiquement la jeunesse. Anthony Borré, 1er adjoint, déclare, en interdisant l'accès à la plage, "lutter contre les rassemblements de jeunes et faire cesser les troubles liés au bruit. Des amendes seront dressées et les instruments de musique comme les Djembé pourront être saisis" (lire ici). Or être jeune et jouer de la musique entre amis le soir sur la plage est normal et légitime. Aller jouer du djembé sur la plage, c'est précisément s'éloigner des habitations pour ne pas gêner les riverains. La jeunesse doit avoir sa place à Nice et lui opposer systématiquement des interdits ne fera qu'envenimer les choses.

Le bord de mer, comme l'ensemble de l'espace public, doit rester accessible à tous. Il revient aux pouvoirs publics locaux, maire comme préfet, de garantir la sécurité de l'ensemble de la population sans interdire d'accéder à la plage, au port ou à la Réserve. Nous voulons habiter la ville librement, avec humanité, et préserver le vivre ensemble à Nice.

mardi 30 juin 2020

Ecosocialisme municipal

Plutôt qu'une simple "vague verte" ce sont des coalitions de l'écologie et de la gauche qui ont rendu possible la victoire aux élections municipales. Loin des grandes théories, un écosocialisme de bon sens voit le jour. Emmanuel Macron, inapte à appréhender la prise de conscience écologique, incarne un libéralisme économique dont le rejet est le ciment de cet écosocialisme nouveau.

Au lendemain de l'élection d'Emmanuel Macron à la présidence de la République, le "ni droite ni de gauche" faisait fureur dans la presse, laissant croire à certains que les bases idéologiques des partis traditionnels étaient définitivement reléguées aux oubliettes. Je m'étais alors succinctement tracé une ligne de conduite politique simple, fondée sur deux impératifs que je pense plus que jamais d'actualité : écosocialisme et humanisme.

Les avidités des divers protagonistes rendant impossible une union autour de ces deux pôles, nous avons assisté aux Elections Européennes à des listes concurrentes portant des programmes similaires et à de logiques défaites, malgré une percée timide d'EELV.

Aux élections municipales de 2020, une lueur d'espoir apparaît : des coalitions pragmatiques entre gauche et écologie ont permis de faire basculer ou de conserver des grandes villes françaises : Lyon, Paris, Marseille, Bordeaux, Grenoble, etc., partout, des coalitions ont rendu possible la victoire. 

Sans attendre une refondation théorique et l'émergence d'un nouveau courant idéologique, un écosocialisme de bon sens a vu le jour. Là où les commentateurs voient une "vague verte", nous constatons au contraire que c'est la constitution de coalitions, que la tête de liste soit issue des mouvements écologistes ou des partis de gauche, qui a rendu la victoire possible. Or qu'est-ce qui a cimenté ces coalitions ? Les leçons de la crise sanitaire, sociale et économique du Covid-19, l'opposition commune aux méfaits du libéralisme économique, le fait que l'écologie comprenne qu'elle est de gauche.

Dans les villes comme Nice, où les tenants de l'écologie ont déclaré être "ni de droite ni de gauche", point d'union possible et défaite assurée. Le vieux débat du positionnement de l'écologie dans l'échiquier politique national sera ainsi, je l'espère, tranché. Le combat pour l'écologie et le combat social ne font qu'un.

Et quand des décisions pratiques doivent être prises, comme c'est le cas lorsque l'on doit gérer une commune ou une intercommunalité, l'évidence saute aux yeux : la santé publique, la qualité de vie des habitants et la préservation de l'environnement sont incompatibles avec les grands projets urbains favorisant le consumérisme effréné, le surtourisme, l'augmentation constante de la pollution et de la bétonisation, etc.

Et, malgré tous ses efforts de bon communiquant, Emmanuel Macron se révélera toujours inapte à porter la prise de conscience écologique pour cette même raison : il incarne la défense d'un libéralisme économique qui a montré toutes ses limites avec la crise du Covid-19 et dont le rejet cimente l'écosocialisme, l'union de bons sens de la gauche et de l'écologie. 

jeudi 18 juin 2020

Clôturer la ville de Nice, un triple aveu d'échec

Les Cigalusa, la place de l'Armée du Rhin, la Réserve... à chaque grille posée, la Ville de Nice avoue son incapacité à développer le lien social, à devenir une ville inclusive et à garantir la sécurité de tous.

Dès que des incivilités sont signalées de façon répétée dans un lieu de Nice, Christian Estrosi fait clôturer ce lieu et prétend le sécuriser.

Ainsi la place des Cigalusa, le square Mashall ou la place de l'armée du Rhin ont été clôturées, alignant de désespérantes rangées de grilles, enfermant ce qui devrait être des lieux de convivialité. Plus surprenant encore, le fait de clôturer et d'empêcher l'accès à la mer le soir à la Réserve. Parce qu'un groupe d'individus y commettait dégradations et incivilité on empêche tout le monde d'y accéder. Fini les couchers de soleil au bord de l'eau dans l'un des plus beau sites de la ville...

En réalité clôturer Nice constitue un triple aveu d'échec :

1. Un échec du vivre ensemble 

L'aménagement urbain est un levier puissant, aux mains des communes, pour favoriser le lien social. Le vivre ensemble commence par avoir la possibilité de se parler dans l'espace public. De grands boulevards qui ne sont que des lieux de passages font que l'on se croise mais que l'on se parle très peu. Des espaces sans banc ni jardin en bas de tours HLM poussent à se regrouper dans des cages d'escalier ou à "tenir le mur". Une place qui n'était qu'un carrefour de passage peut redevenir un lieu de vie, comme à Garibaldi, dès que l'on commence à y réinstaller des bancs. Les espaces grillagés enlaidissent la ville et empêchent les échanges.

Nice allie traditions et modernité. Elle s'ouvre sur le monde grace au tourisme. Elle ne doit pas devenir une juxtaposition d'espaces clos, une ville fermée et bunkérisée. Seule une ville ouverte peut favoriser le vivre ensemble. En voulant se protéger de l'extérieur on s'enferme soi-même.

En clôturant des parcelles de plus en plus nombreuses d'espace public,  la Ville de Nice renonce à y favoriser le lien social. Elle se révèle inapte à adapter l'espace public pour favoriser les échanges. Chaque espace clôturé est un renoncement au vivre ensemble.

2. Un échec de la société inclusive

Une société "inclusive" doit se développer sans exclure aucune catégorie de la population. 

Or la Ville de Nice prétend choisir qui a le droit d'occuper l'espace public et fait tout pour chasser ceux qu'elle juge indésirables. Elle déploie ainsi, par une série d'actions ciblées, une politique de ségrégation urbaine dont les premières victimes sont les SDF :

- couper l'eau place du Pin l'an dernier pour chasser les sans-abri

- jeter systématiquement les affaires de SDF (cartons, sacs de couchage, etc.) 

- refuser d'installer des toilettes et douches publiques gratuites en nombre suffisant partout dans la ville

- refuser de mener une politique d'hébergement d'urgence et de logement social à la hauteur des besoins 

- ne pas soutenir suffisamment les associations d'aide aux sans-abri et priver de moyens suffisants le CCAS et les travailleurs sociaux

- poser une double rangée de grilles devant le Palais de Justice pour chasser les SDF et rendre inaccessibles, un a un, les jardins publics en les clôturant

- etc.

Chaque grille posée, chaque sac de couchage jeté est une négation de l'inclusion sociale, un aveu de rejet et d'exclusion. La Ville de Nice renonce à sa vocation sociale, refuse de devenir une ville hospitalière et mène une politique discriminatoire.

3. Un échec sécuritaire

Pour empêcher des personnes créant un trouble à l'ordre public de se rendre sur un lieu où ils ont leurs habitudes, on grillage le lieu en pénalisant de fait les habitants qui n'y sont pour rien. Mais imagine-t-on un seul instant que les fauteurs de troubles vont gentiment rester chez eux ? Ils vont tout naturellement trouver un autre lieu de rassemblement un peu plus loin et continuer à se comporter de la même manière en génant d'autres riverains. On ne fait que déplacer le problème de place en place. Et quand toutes les places de la ville seront clôturées, les petits groupes convergeront et se regrouperont dans les derniers espaces libres. La Ville de Nice créera ainsi des groupes beaucoup plus nombreux et bien plus difficiles à ramener à la raison et à un comportement respectueux.

Nice est l'une des villes ayant le plus grand nombre de policiers municipaux et de caméras de vidéo surveillance. Elle consacre un budget énorme à la sécurité au détriment du social, de l'éducation et de la santé. Or clôturer une place où ont lieu des incivilités c'est renoncer d'emblée à rétablir l'ordre, c'est avouer à l'avance son incapacité à faire cesser les troubles sans empêcher les riverains d'accéder à cette place. La Ville doit garantir la sécurité des Niçois souhaitant passer une soirée au bord de mer à la Réserve et non leur interdire l'accès.

Chaque lieu clôturé à Nice est un aveu d'échec de Christian Estrosi à garantir la sécurité des Niçois. Il préfère les priver d'accès à ces lieux plutôt que de mener les politiques de prévention et, si besoin, de répression necessaires.

Au final, en posant systématiquement des grilles là où apparaissent des difficultés, la Ville de Nice avoue son incapacité à développer le lien social, à devenir une ville inclusive et hospitalière et à garantir la sécurité de tous.