dimanche 24 mars 2013

David Orrell et Tomas Sedlacek : "l'économie est une croyance comme une autre"

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"Le crépuscule de l'Homo Oeconomicus", publié en France en novembre 2012, est un dialogue vivant et décapant, auquel se livrent sous nos yeux un mathématicien canadien, professeur à Oxford, en Angleterre, et un économiste tchèque, ancien conseiller de Vaclav Havel.
Une grande convergence de pensée amène nos deux protagonistes à développer une analyse commune de la crise économique que nous pouvons synthétiser autour de quelques idées fortes :
- Malgré les crises successives, il n'y a pas eu de refonte des idées économiques ni des modèles mathématiques utilisés.
- La domination de la finance sur l'économie réelle est un facteur aggravant de la crise.
- Nous attribuons une valeur (quasi) religieuse aux chiffres et indicateurs économiques quand bien même nous savons qu'ils ne reflètent pas la réalité (ex : PIB). Nous entretenons ainsi l'illusion que tout est quantifiable et mesurable.
- Nous appliquons abusivement des modèles mathématiques à l'économie et ces modèles se sont avérés incapables de prédire les propriétés émergentes à l'origine de la crise. Or l'utilisation de modèles mathématiques inappropriés, alors précisément que nous les savions inappropriés, a contribué à renforcer une illusion de stabilité et de sécurité du système. Pourtant, dans un monde en perpétuel devenir, la stabilité économique est un leurre.
- Nous devons modifier notre foi en une croissance omnipotente et omniprésente.
- La raison véritable de l'utilisation persistante de modèles inadéquats dans un système économique défaillant en occultant toute remise en question véritable n'est autre que la recherche et la conservation du pouvoir.
A partir de là, trois constats s'imposent :
1/ L'histoire récente vient confirmer le danger de l'application abusive de modèles mathématiques à l'économie : Olivier Blanchard et Daniel Leigh, économiste du FMI, ont reconnu publiquement, en janvier 2013, que le modèle mathématique présidant à la politique d'austérité en Europe, et notamment en Grèce, était inadéquat.
2/ L'autorité accordée aux indicateurs économiques chiffrés est ici analysée à sa juste valeur, à savoir en tant que phénomène religieux ou phénomène suivant le même processus de développement et ayant les mêmes effets qu'un phénomène religieux. On s'attendrait même à y trouver une référence, étonnamment absente, à la thématique centrale du fétichisme chez le second Marx.
3/ Se faisant, Tomas Sedlacek, non contredit en cela par David Orrell, proclame le stade de la croyance comme indépassable. Il affirme que l'on ne sort jamais de la croyance, que l'on ne peut substituer qu'un mythe à un autre, que nous ne faisons qu'affirmer notre croyance en la rationalité des hommes. Et c'est là que le coeur de l'analyse. Des siècles de philosophie essentialiste et rationaliste n'y auront rien changé. La quête de la vérité, le scientisme, le dogmatisme suffisant des économistes contemporains, tout cela est renvoyé dos à dos par une seule référence, une référence clef qui donne sens à tout le reste : Héraclite. Le perpétuel devenir du monde et le changement continu en toute chose rendent impossible tout manichéisme.
Après tant et tant de livres sur la crise économique et financière, après tant d'articles et de débats acharnés, il aura fallu un petit opuscule, un étrange dialogue entre deux protagonistes dont j'avoue avoir ignoré l'existence jusque là pour que l'un deux, improbable économiste tchèque héraclitéen, nous assène enfin, "à coup de marteau", un terrible constat : "l'économie est une croyance comme une autre".

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