dimanche 14 septembre 2014

Moi député, je ne voterais pas la confiance au gouvernement

Les Français n'ont pas voté pour la politique menée actuellement par le gouvernement. Nous, militants et sympathisants socialistes, n'avons pas fait campagne pour cette série ininterrompue, orchestrée, de renoncements à nos valeurs. François Hollande, le 20 août 2014, a déclaré au Monde que "le débat ne peut pas rebondir sur chaque texte. Les choix ne peuvent être rediscutés à chaque fois qu'un indice trimestriel est connu." Il a parfaitement raison. Mais, précisément, le débat sur le pacte de responsabilité n'a eu lieu ni devant les militants socialistes, ni devant les électeurs. Nous n'avons pas voté pour un cadeau de 41 milliards aux entreprises sans distinguer celles soumises à la concurrence des autres, sans contrepartie en termes de création d'emplois ou d'optimisation de l'appareil productif, sans limitation de la part de dividendes reversés aux actionnaires. Le pacte de responsabilité, c'est le pacte des irresponsables. 
Manuel Valls, telle Margaret Thatcher, déclare sans sourcilier qu'il n'y a pas d'autre politique possible. Il affirme, à Bologne, qu'il n'y pas d'alternative à gauche et que la seule autre donne politique, c'est le FN. En clair, "c'est moi ou le chaos". Tel Alain Juppé en 1995, "droit dans ses bottes", il refuse tout dialogue. Il répète, à qui veut l'entendre, que "la France a besoin d'autorité". Il refuse de dialoguer avec nos partenaires de gauche, avec qui pourtant nous devrions gouverner. Il refuse le dialogue avec nos propres députés, qui pourtant ont fait des propositions constructives tout en restant dans le cadre du pacte de responsabilité. Il refuse de dialoguer avec ses propres ministres qui eux aussi font des propositions concrètes pour une politique alternative. Or refuser le dialogue, ce n'est pas restaurer une autorité perdue, c'est affaiblir le pouvoir et le refermer sur des cercles clos de plus en plus restreints, ne l'alimenter que par les analyses des hauts fonctionnaires et les notes des collaborateurs de cabinets, c'est le couper peu à peu du réel.
Prenons un seul exemple, mais tellement révélateur : la règle des trois tiers proposée par Arnaud Montebourg. Il ne s'agissait pas d'une politique irréaliste et coûteuse de relance par le pouvoir d'achat alors que la France, en crise, ne dispose pas des fonds nécessaires. Il ne s'agissait pas de renoncer aux 50 milliards d'économies du pacte de responsabilité. Il s'agissait simplement de faire un autre usage des 50 milliards récoltés, de choisir une répartition qui garantisse davantage d'efficacité à ce plan et davantage de justice sociale. Lionel Jospin avait, du temps béni ou le débat public portait sur l'utilisation de la "cagnotte" du gouvernement, proposé cette règle des trois tiers : un tiers pour le remboursement de la dette et de ses intérêts, un tiers pour le soutien à la compétitivité en aidant les entreprises, un tiers pour le soutien à la consommation par la relance du pouvoir d'achat des ménages. Arnaud Montebourg a proposé au Président de la République et au Premier Ministre d'appliquer cette règle aux 50 milliards d'économies. Il rejoignait là les propositions des députés dits "frondeurs" souhaitant un rééquilibrage entre politique de l'offre et politique de la demande. Résultat : rien, "il n'y a qu'une seule politique possible", et le pacte de responsabilité, comme le bouclier fiscal jadis, n'est pas négociable.
Or ce pacte vient s'ajouter à longue liste des renoncements à nos idéaux, à nos valeurs, à ce dont la France a besoin. Nous n'avons pas fait campagne pour la capitulation de Florange, la non renégociation du TSCG, la validation du TAFTA, la survalorisation indécente du MEDEF, la stigmatisation des chômeurs, le travail le dimanche, le non blocage de loyers, et j'en passe. Nous étions vent debout, hier, lorsque la droite légiférait par ordonnances, réduisant le parlement à n'être qu'une simple chambre d'enregistrement. Et nous devrions trouver cela normal aujourd'hui ? Nous étions vent debout hier, lorsque la droite voulait augmenter la TVA. Et nous devrons trouver cela normal, demain, lorsque le gouvernement l'annoncera ? Combien de renoncements devra-t-on accepter avant de ne plus pouvoir se regarder dans la glace ?
Les députés et les ministres dits "frondeurs" ont tenté de convaincre en interne, en vain, durant plus de deux ans. Nous avons, dans nos sections et fédérations, fait part de nos craintes et débattu en interne durant plus de deux ans. On a commencé par nous dire : "il faut serrer les rangs." "Faire bloc"... Au risque de défendre une politique à laquelle on ne croit pas ? Puis on nous a dit : "il faut obéir au chef"... Au risque de renier les engagements pris devant les électeurs ? A quel chef suprême devrait on allégeance ? Au chef de l'Etat ? En France, le pouvoir souverain, c'est le peuple, non ? Et ce n'est pas devant lui que nous avons pris 60 engagements ? Ce n'est pas devant lui que nous nous sommes engagés à combattre la finance ? Nous devons revenir à l'esprit du Bourget et respecter la volonté populaire exprimée le 6 mai 2012. C'est notre devoir, c'est notre boussole.
On a ensuite agité la menace de la dissolution, avec toujours la même méthode : "c'est moi ou le chaos". Et, par là, on tente d'inverser la charge de la preuve, comme si l'échec de la première moitié du quinquennat incombait à quelques députés fidèles à leurs engagements. Que le gouvernement propose une véritable politique de gauche et toute la gauche votera la confiance. La balle est dans son camp.
Jean-Christophe Cambadélis agite désormais la menace de l'exclusion en déclarant qu'un "frondeur" votant contre la confiance serait exclu du Parti Socialiste. Se faisant il confond volontairement gouvernement et parti car s'opposer au premier n'est pas s'opposer au second. Après le rappel à l'ordre et la menace de dissolution, vient donc la menace d'exclusion... et si on essayait le dialogue, tout simplement ? Mais non, jamais les propositions alternatives des députés et des ministres n'ont été réellement étudiées ni débattues.
Je suis socialiste. Je me réclame d'un socialisme né de Ferdinand Buisson, de Louis Blanc et de Jean Jaurès, d'un socialisme né pour combattre l'individualisme et mettre en oeuvre les conditions de l'émancipation collective. Je ne suis adepte ni du libéralisme économique ni du libéralisme culturel. Les combats sociétaux comme le mariage pour tous sont des combats utiles et ils doivent être menés avec détermination. Mais ils ne doivent pas servir à masquer notre manque de volontarisme et d'action sur les question économiques et sociales, car c'est là le coeur du problème. Lionel Jospin disait : "Oui à l'économie de marché, non à la société de marché", comme si une séparation étanche protégeais la société de l'économie. La réalité, c'est que les choix économiques façonnent la société et conditionnent nos vies. C'est la raison pour laquelle il faut redonner le pouvoir au politique sur l'économie et combattre réellement le monde de la finance.
Je suis socialiste et je ne suis pas social-démocrate. Je ne me reconnais pas dans un mode de gouvernance qui privilégie un dialogue social bancal entre un MEDEF que l'on a rendu surpuissant et des syndicats de moins en moins représentatifs, en position de faiblesse. Et je me souviens amèrement de Jean-Marc Ayrault, demandant aux parlementaires de ne pas modifier le texte de l'ANI car il était le fruit du dialogue social, demandant ainsi aux élus de la Nation d'entériner tel quel un accord issu de négociations déséquilibrées, soumises à un rapport de force évident. 
Je suis socialiste et non, je ne quitterai pas le Parti Socialiste en le laissant emporté par la dérive libérale car nous devons œuvrer pour en faire à nouveau un vecteur de progrès social, de justice et d'émancipation. Alors si demain des députés ne votent pas la confiance au gouvernement je les comprendrais et, si j'étais député, je n'accorderais pas ma confance à cette politique. Et si François Hollande veut une majorité, qu'il accepte de dialoguer et propose une réelle politique de gauche. Et s'il ne sait pas où la trouver, qu'il nous écoute : c'est celle pour laquelle il a été élu.

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