mardi 2 juin 2015

Atteinte à la laïcité à Nice : l'argument fallacieux de la tradition

«Moi, successeur des consuls de Nice, au nom du conseil municipal et du peuple de Nice, renouvelle ce vœu et confie les destinées de la ville à Notre Dame des Grâces.»
C'est ainsi que Christian Estrosi a, à nouveau, ostensiblement, bafoué les principes de la laïcité, dimanche 3 mai 2015 à Nice.
Qu'un maire se rende à l'église, la synagogue ou la mosquée à titre personnel, cela relève de la plus stricte application de la liberté de culte.
Mais qu'au nom de la Ville de Nice il participe à une cérémonie religieuse, c'est une atteinte à la neutralité en matière religieuse qui incombe aux pouvoirs publics nationaux comme locaux.
Pire, lorsqu'il "confie les destinées de la Ville" à une entité religieuse, il contrevient à l'article 2 de la loi de 1905 selon lequel la République "ne reconnaît aucun culte".
Pour ce faire, le député maire de Nice prend prétexte d'une tradition niçoise remontant à 1832 : le choléra se propageant dans la ville, le conseil de Nice avait placé la ville sous la protection de la Madone. 

Depuis, en signe de reconnaissance, les maires successifs de Nice renouvellent chaque année le vœu de 1832 en confiant les destinées de la ville à Notre Dame des Grâces.
Mais là où ses prédecesseurs lisaient un simple texte, Christian Estrosi se met en scène, invite la presse, tweete et remet au goût du jour la procession à laquelle il participe, de l'ancien palais communal à l'église du Voeu.
Ce que les tweets du Maire de Nice ne mentionnent pas, c'est qu'entre 1832 et 2015, deux faits majeurs se sont produits : le rattachement du Comté de Nice à la France en 1860 et la loi de séparation des Eglises et de l'Etat en 1905.
Le rattachement du Comté de Nice à la France est un élément important en la matière car la tradition évoquée par Christian Estrosi n'est pas celle de la République.
Si les Présidents de la République Française se référaient aux traditions antérieures à celles la République, ils répéteraient les gestes et renouvèleraient les symboles de la royauté en allant, par exemple, chercher la sainte onction à Reims ! Mais, appliquant à la lettre la loi de 1905, ils ne "reconnaissent aucun culte" et renouvèlent, eux, un cérémonial strictement républicain.
Rien n'étant laissé au hasard, sous couvert de tradition, Christian Estrosi met médiatiquement en scène son appartenance à la "civilisation judéo-chrétienne" de laquelle il se revendique face aux "cinquièmes colonnes islamistes" nous menaçant dans une "troisième guerre mondiale" selon lui déjà déclarée (lire ici). 
Cet acte, au-delà de l'atteinte évidente aux principes de laïcité et à la loi de 1905, au-delà du simple respect des traditions locales, est un acte politique délibéré s'inscrivant dans une succession de signaux adressés à l'opinion publique pour raviver "l'héritage judéo-chrétien" si souvent invoqué. Il en va de même avec la récente polémique sur les crèches sciemment suscitée par Eric Ciotti (lire ici). Il en va de même avec la profession de foi de Nicolas Sarkozy intronisant la nouvelle dénomination de l'UMP, "Les Républicains" :
La revendication de cet héritage s'inscrit à son tour dans une optique du "choc des civilisations" chère à Samuel Huntington se transformant peu à peu, en France, en un "choc des identités", entravant le vivre ensemble et l'intégration car résonnant comme une réaffirmation d'une identité contre une autre.
Dans un contexte de tensions et de communautarisation, la revendication récurrente et médiatisée d'un héritage civilisationnel de la part d'élus et de responsables politiques constitue un acte irresponsable et contraire à l'intérêt général.

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