mardi 8 septembre 2015

L'accueil des demandeurs d'asile, le choc des identités

La menace terroriste, l'afflux des demandeurs d'asile ou les récurrentes questions liées à la laïcité sont autant d'occasions pour les leaders politiques de définir leur ligne politique, les contours de leur idéologie. 
S'inscrivant dans le champ théorique du choc des civilisations cher à Huntington, les droites françaises nous entraînent peu à peu dans la spirale néfaste d'un choc des identités. Nous devons prendre la mesure de ce processus afin d’en anticiper les conséquences.
Le choc des identités
Alors qu'un élu est sensé défendre les intérêts de l'ensemble des citoyens qu'il représente, certains élus "Les Républicains" affirment aujourd'hui haut et fort leur appartenance à une civilisation donnée, la civilisation judéo-chrétienne.
François Fillon déclarait il y a peu que nous devions accueillir les réfugiés "sinon nous ne serions pas digne de notre héritage chrétien", préférant ainsi se référer à une identité religieuse plutôt qu'à une tradition humaniste.
Christian Estrosi, précurseur dans le processus d'extrémisation de la droite dite républicaine française, déclarait déjà, en avril dernier, que la 3ème guerre mondiale était engagée entre l'islamo-fascisme et la civilisation judéo-chrétienne, les Catholiques étant ciblés et menacés en France.
Eric Ciotti et François Fillon, entre autres, n'ont de cesse depuis des mois de brandir les Chrétiens d'Orient comme symbole des bons migrants, ceux qu'il faut secourir et accueillir... à l'inverse des autres.
Suite à l'appel du ministre de l'intérieur aux maires afin de mettre en œuvre l'accueil des demandeurs d'asile, les réactions sont hautement révélatrices.
Le Front National a déclaré que ses maires n'accueilleraient pas de réfugiés, Marine Le Pen expliquant qu'il s'agit en réalité d'une immigration essentiellement économique et non politique. Gilbert Collard juge hypocrites ceux qui se mobilisent pour les réfugiés mais qui ne font rien pour les SDF français.
Nicolas Dupont Aignan s'est également opposé à un accueil dans sa commune en déclarant : "je refuse cette immense manipulation médiatique qui s’est abattue sur la France depuis quelques jours et qui vise à culpabiliser le peuple le plus généreux du monde." 
Le maire "Les Républicains" de Roanne, Yves Nicolin, affirme qu'il est normal d'accueillir des réfugiés s'ils sont chrétiens mais refuse d'accueillir des réfugiés musulmans car il souhaite avoir "l'absolu certitude que ce ne sont pas de terroristes déguisés." Philippe Goujon, maire "Les Républicains" du XVème arrondissement de Paris souhaite, comme Nicolas Sarkozy, que le "tri" entre réfugiés politiques et migrants économiques se fasse en amont, en Syrie et non en France. Il ajoute, pour sa commune, que "plus on créé de centre de migrants, plus on en fait venir".
Mais que font en réalité ces élus de la République ?
  • Ils font rupture avec la laïcité française en se revendiquant d'une identité religieuse car la laïcité impose une neutralité des élus et du pouvoir public, même local, en matière de religion.
  • Ils alimentent un "choc des identités" qui fragmente la République. En s'affirmant chrétiens ou judéo-chrétiens par opposition à un islam qu'Estrosi décrète incompatible avec la démocratie, ils mettent en avant ce qui divise la société et non ce qui rassemble les citoyens. 
Chacun arrive, non pas seulement porteur de son identité personnelle, mais imposant à tous son appartenance à une communauté, à tel point que s'éloigne à chaque fois un peu plus la communauté nationale.
L'appartenance à une communauté est un besoin naturel et légitime. Mais le communautarisme commence lorsque l'on fait passer l'intérêt de sa communauté et de ses membres avant l'intérêt général.
  • Ils font rupture avec la tradition humaniste de la France. L'humanisme reconnait en chaque homme une part de l'humanité tout entière et confère de ce fait à chacun une égale dignité et une égalité de droit.
  • Ils enfreignent l'article 1er de notre constitution qui précise que "La France respecte toutes les croyances", en refusant d'accueillir des hommes, des femmes et des enfants fuyant la guerre sous prétexte de leur religion.
  • Ils entretiennent volontairement l'amalgame entre islam et islamisme en refusant d'accueillir des musulmans sous prétexte qu'il pourrait s'agir d'islamistes, et font peser sur tout musulman le soupçon de radicalisation.
  • Ils continuent à défendre, pour certains, et s'approprient avec quelques décennies de retard, pour d'autres, le thème de la préférence nationale chère au Front National en expliquant que nous devrions d'abord nous occuper des SDF français avant les demandeurs d'asile (si tant est qu'ils s'occupent réellement des SDF). 
Nous sommes, de fait, confrontés à une sorte de populisme identitaire confessionnel qui consiste d'une part à reprendre le thème éculé de l'invasion, des masses migratoires déferlant sur notre pays à la thématique du "grand remplacement", alimentant ainsi la peur de l'autre, tout en renforçant, d'autre part, un repli sur soi insistant tantôt sur l'identité nationale, tantôt sur l'identité religieuse.
Pour une répartition des demandeurs d'asile en Europe... et en France
On le voit, la question de l'accueil des demandeurs d'asile agit comme un révélateur des lignes politiques de chaque maire.
Était-ce le but de la manœuvre politicienne du gouvernement en sollicitant les maires et en communiquant à ce sujet comme s'il revenait aux maires d'accueillir ou non les demandeurs d'asile, à quelques mois des élections régionales ? 
La question se pose car il a toujours été du ressort de l'Etat de faire face à l'urgence humanitaire. 
Si le ministre de l'intérieur le souhaite, il peut répartir les 24 000 demandeurs d'asile à prendre ne charge par département, sous l'autorité préfectorale, ce qui ne ferait que 240 personnes à prendre en charge en deux ans par département métropolitain, soit à peine 10 personnes par mois et par département ! 
Nous savons que si le regroupement communautaire est un comportement légitime, chacun se tournant naturellement vers ceux avec qui il partage le plus de choses en commun, il peut nuire à l'intégration.
Le regroupement communautaire de réfugiés ne favorise pas l'apprentissage de la langue, des lois et des us et coutumes du pays d'accueil, notamment pour les enfants.
Une répartition des demandeurs d'asile par département permettrait d'éviter de créer de nouvelles concentrations urbaines. Elle permettrait également de venir peupler et dynamiser des villages en voie de désertification rurale. 
Faire participer les collectivités à cette prise en charge, sous l'autorité du Préfet, est indispensable. En appeler à la mobilisation associative et citoyenne est également une bonne chose. Mais se défausser sur les maires en laissant croire que l'accueil ne dépend que d'eux est un leurre car il revient à l'Etat, en premier chef, d'assumer le rôle de terre d'accueil de la France et la solidarité internationale avec les persécutés.
Pour autant, ce leurre semble fonctionner à merveille. Il donne l’occasion aux élus populistes d'alimenter un peu plus ce choc des identités dans lequel ils souhaitent nous enfermer, véritable fonds de commerce d’une classe politique indigne de la République. Il donne aux élus réellement républicains l'opportunité de se démarquer d’eux à peu de frais.
Si chacun semble y trouver son compte, il n'en reste pas moins que l’objet de ce petit jeu de dupe politicien, ce sont des familles persécutées qui demandent asile pour fuir l’horreur de la guerre...

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