La fabrique
des violences
Nous assistons à une escalade de violences à la suite de l'homicide du jeune Nahel, tué par un policier à bout portant lors d'un refus d'obtempérer, le 27 juin 2023, à Nanterre. Des émeutes ont eu lieu, des dégradations ont été commises, jusqu'à l'attaque du domicile du maire de l'Haÿ-Les-Roses.
1. Nahel
L'homicide du jeune Nahel, 17 ans, a
provoqué une indignation nationale légitime. Comme lors de l'homicide du jeune
Zyed pendant un refus d'obtempérer, en septembre dernier à Nice, les images
filmées sont venues démentir la version des policiers. On constate, depuis la
modification législative de 2017 sur l'usage des armes à feu par la police, une
augmentation significative des décès lors de refus d'obtempérer. La police
française commet plus d'homicides que celles des pays voisins et, au sein des
forces de l'ordre françaises, la police commet plus d'homicides que la
gendarmerie. Pour autant, aucune annonce gouvernementale ou présidentielle n'a
été faite sur l'absolue nécessité de réformer l'usage des armes à feu par la
police (article L435-1 du Code de sécurité intérieure) ni de réformer la
formation des policiers. Le déni demeure.
2. Le dévoiement de la police
On ne peut effectuer de
généralisation sur l'ensemble de la police. La très grande majorité des
fonctionnaires de police effectuent leur travail avec une déontologie
exemplaire malgré des conditions de travail toujours plus dégradées. Pour
autant, la multiplication des violences policières est un fait que personne ne
peut nier. La police qui doit rassurer inspire aujourd'hui, pour une très
grande partie de la population, plus de crainte que de confiance. La police qui
doit garantir l’état de droit devient elle-même un vecteur de discriminations.
Le lien entre les citoyens et les forces de l'ordre est rompu.
Certains pensent que les exactions
commises sont le fait de policiers individuels sans que cela ne remette en
question l’institution. L'ONU pointe, à l’inverse, un problème structurel de
racisme dans la police française. Posons la question de l’évolution des
missions confiées à la police et des moyens qui lui sont donnés pour les mettre
en œuvre.
Le rôle de la police française a
été progressivement dévoyé, détourné de ses missions de protection pour devenir
un outil de seule répression. La politique de prévention a été délaissée et la
police de proximité a été supprimée. Le message continu envoyé par plusieurs
ministres de l’intérieur (Sarkozy, Valls, Darmanin) est un message caricatural
de fermeté. Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs ont organisé, de
manière totalement irresponsable, une systématisation de la répression policière
des mouvements sociaux : gilets jaunes, mouvement contre la réforme des
retraites, Z.A.D. et mouvements écologistes. L'usage des LBD et de la technique
de la nasse, pourtant abandonnés par de nombreux pays voisins, est maintenu. Des
violences graves et des mutilations ont eu lieu de façon répétée sans que des
consignes claires ne soient données. Ces pratiques sont indignes d’une police
républicaine. La répression organisée, visant très fréquemment les jeunes, a
pris sous le macronisme des proportions alarmantes.
Emmanuel Macron a, de plus, alimenté
un sentiment d'impunité des forces de l'ordre dès l'affaire Benala : qu'un
proche du chef de l'État commette des violences policières et soit protégé par
le chef de l'État lui-même constitue une violence symbolique inouïe.
Notre histoire collective est
marquée par des cas récurrents de violences policières : Zyed Benna et
Bouna Traoré, morts électrocutés dans un transformateur EDF en tentant d’échapper
à un contrôle d’identité ; Adama Traoré et Cédric Chouviat, morts par asphyxie
à la suite de plaquages ventraux ; Gaye Camara, tué par un tir de policier ;
Zineb Redhouane, tuée par le tir d’un gaz lacrymogène à la fenêtre de son
appartement ; etc.
Nous devons nous donner les moyens
de réformer la police et son fonctionnement, et et de repenser sa fonction même,
afin de réduire au maximum ses dérives et ses exactions et de la rendre plus efficiente.
Malgré les multiples alertes sur
les dysfonctionnements structurels de la police française, y compris venant d’organisations
internationales, aucune annonce gouvernementale ou présidentielle n'a été faite
laissant espérer une action de fond pour réformer la police.
3. La neutralisation de toute opposition démocratique
Le macronisme n'a laissé aucune
chance ni à l'action démocratique ni à la protestation sociale. Emmanuel Macron
et sa majorité, par leur blocage systématique de l'action parlementaire de
l'opposition, ont réussi à imprégner dans le pays l'idée que la démocratie
représentative ne peut plus avoir d'impact sur eux. Dans le même temps, en
ne donnant aucun débouché aux contestations sociales (gilets jaunes, mouvement
contre les retraites, Z.A.D, etc.), ils ont voulu démontrer que les mouvements
sociaux n'avaient, eux aussi, plus aucun effet sur eux.
Le revers de la médaille de l'exercice
autoritaire du pouvoir est connu : on donne le sentiment au peuple que, puisque
tout forme d'opposition démocratique est, par avance, inutile, seules les
solutions extrêmes et l’action violente permettent de se faire entendre. Ainsi
progressent, en parallèle, l'extrême droite et les tensions urbaines. Le
pouvoir autoritaire s'aveugle et refuse de comprendre qu'écraser ses
adversaires modérés et toute tentative d’opposition démocratique renforce les
extrêmes et pousse à la radicalité.
A cela s'ajoute un trait propre à
l'exercice du pouvoir par Emmanuel Macron : le mépris. Ceux qui ne sont « rien
», les « illettrés », ceux qui n’ont qu’à « traverser la rue » pour trouver un
travail, ceux qui coûtent à la France « un pognon de dingue », ceux qui « se
plaignent » et sont « réfractaires au changement », ceux qui ont perdu « le
sens de l’effort », ceux qu'il veut "emmerder", les
"factieux"... le chef de l'Etat n'a eu de cesse, depuis son accession
au pouvoir, d'étaler un insupportable mépris et une condescendance insultante.
Sa manière d'exercer et d'incarner le pouvoir ne peut qu'alimenter la colère,
la rancœur et les réactions violentes.
4. Inflation, covid et ghettoïsation
En refusant idéologiquement de
protéger réellement les français de l'inflation et en refusant de mener une
politique sociale ambitieuse, le macronisme plonge l'ensemble des classes
moyennes et des personnes pauvres dans une spirale de privation et de
précarisation accrue. L'impact psychologique du manque, de l'amoncèlement des
difficultés sans espoir d'une vie meilleure, doublé du sentiment d'être
confrontés à un pouvoir sourd aux revendications légitimes, génère un désarroi
collectif profond.
Cette inflation a, de plus, été
précédée par la crise du Covid. La gestion sécuritaire de la pandémie et
l'impact du confinement sans que les promesses du "jour d'après" ne
soient tenues ont joué un rôle déterminant dans la crise actuelle. Alors que le
pays sortait du Covid et subissait un climat anxiogène avec la guerre en
Ukraine, alors que l'urgence écologique créé une anxiété structurelle forte,
notamment chez les jeunes, Emmanuel Macron a imposé un bras de fer au pays sur
la réforme des retraites et a déployé une répression policière des manifestants,
mettant encore les forces de l'ordre en première ligne.
La crise du Covid a accentué les
inégalités sociales et a été vécue comme un traumatisme plus fort encore dans
les quartiers difficiles et les "cités". L'absence de politique
ambitieuse de lutte contre la ghettoïsation depuis l’abandon du plan Borloo constitue
une faute politique majeure.
Au constat d’abandon des quartiers
s’ajoute un sentiment d’injustice et de discrimination dont on ne mesure pas
les effets. Chaque contrôle au faciès est vécu comme une humiliation. La
répétition des contrôles d’identité provoque une rupture d’égalité et une
colère sourde qui ne demande qu’à exploser. Le dévoiement de la police républicaine transforme
la jeunesse des quartiers en bombe à retardement.
Quel espoir est-il donné aux
habitants de ces quartiers ? Qu'est-il permis d'espérer à la jeunesse de nos
cités ?
5. Les violences urbaines
Les violences urbaines sont
destructrices et n'apportent aucune solution. Elles accentuent le fossé qui isole
les populations ghettoïsées. Une forme nouvelle de violences voit le jour avec
des attaques ciblées sur des élus, jusqu'à l'attaque à la voiture bélier de la
maison du maire de l'Haÿ-Les-Roses, Vincent Jembrun.
S’il faut bien évidemment garantir
la protection des personnes et des biens, instaurer des couvre-feux, une
surveillance par hélicoptères et drones, un déploiement de forces de l'ordre ou
un énième état d'urgence, comme en 2005, sans qu’aucune politique structurelle ambitieuse
ne soit ensuite mise en œuvre ne résoudra pas les difficultés actuelles.
Lorsque l'on grandit dans un monde
clôt, déclassé, oppressant et violent et que l'on se révolte, la première chose
que l'on tente de détruire est cet environnement immédiat que l'on ne supporte
plus. Oui, les premières victimes des violences urbaines sont les habitants des
quartiers difficiles eux-mêmes. Mais s'offusquer de ce que les jeunes subissant
depuis leur naissance une ghettoïsation sans espoir tentent de casser et de
brûler le ghetto qui les enferme, c'est refuser de voir l'impact de la
ghettoïsation. S'étonner que des jeunes en échec scolaire, qui se sentent
rejetés par le système éducatif et qui vivent ce rejet comme une blessure
profonde s'en prennent aux écoles, c'est refuser de prendre en compte les
effets sociaux de l'échec scolaire. S'étonner que les personnes subissant une
pauvreté et une précarité endémiques se livrent à des pillages c'est refuser de
prendre en compte les effets de la privation, du manque, et de la frustration
collective accentués par la crise sociale.
La violence appelle la violence et
les pouvoirs publics doivent trouver l'issue pour en sortir.
6. Comment sortir de la spirale de violences ?
Les droites extrêmes et les extrêmes
droites françaises et leurs relais médiatiques attisent les tensions et
poussent l'exécutif à toujours plus de répression, mais là n’est pas la
solution.
Les causes profondes des maux
évoqués ici sont bien antérieures à l'arrivée aux responsabilités d'Emmanuel
Macron. Pour autant, l'action du chef de l'Etat, de sa majorité et de ses
gouvernements successifs ont favorisé l'escalade des violences.
S'il a justement rappelé que "rien ne justifie la mort d'un jeune" à la suite du décès de Nahel, le chef de l'Etat doit désormais prendre la parole :
- Sortir du déni sur les violences policières : refonte du cadre légal de l'usage des armes à feu et abrogation de la loi Cazeneuve de 2017 (article 435-1 du code de la sécurité intérieur), interdiction des LBD et de la technique de la nasse, interdiction des techniques d’immobilisations létales (plaquage ventral, clé d’étranglement), fin des contrôles au faciès, instauration d’un récépissé de contrôle d’identité, dépaysement systématique des enquêtes lors de cas de violences policières, remplacement de l’IGPN par une autorité indépendante et pluridisciplinaire, etc.
- Repenser le rôle et le fonctionnement des forces de l’ordre : redéfinition des missions, augmentation des moyens et amélioration des conditions de travail, réforme de la formation des policiers, clarification de l'organisation et de la répartition des différentes forces de l'ordre en France, du statut des polices municipales et du rôle des sociétés privées de sécurité, restauration de la police de proximité, etc.
- Réponse sociale forte et immédiate face à l'inflation : blocage des prix des produits de première nécessité et blocage des loyers, mise en œuvre d’une véritable politique de justice sociale et de répartition des richesses.
- Déployer une politique d'envergure contre la ghettoïsation des banlieues : repenser la mixité sociale, oser la réconciliation nationale, poser comme objectif la restauration de l’égalité républicaine et la fin des discriminations, réactiver le plan Borloo, donner une priorité nationale à la rénovation urbaine, au logement et à l’habitat, en finir avec la ségrégation urbaine et désenclaver prioritairement les quartiers sensibles, renforcer l’école et les services publics, améliorer les conditions de vie quotidienne dans les quartiers difficiles, etc.
Il faut redonner des perspectives à la jeunesse du pays et lui offrir, enfin, des raisons d'espérer.
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