dimanche 2 juillet 2023

La fabrique des violences

 

La fabrique des violences

 

Nous assistons à une escalade de violences à la suite de l'homicide du jeune Nahel, tué par un policier à bout portant lors d'un refus d'obtempérer, le 27 juin 2023, à Nanterre. Des émeutes ont eu lieu, des dégradations ont été commises, jusqu'à l'attaque du domicile du maire de l'Haÿ-Les-Roses.

1. Nahel

L'homicide du jeune Nahel, 17 ans, a provoqué une indignation nationale légitime. Comme lors de l'homicide du jeune Zyed pendant un refus d'obtempérer, en septembre dernier à Nice, les images filmées sont venues démentir la version des policiers. On constate, depuis la modification législative de 2017 sur l'usage des armes à feu par la police, une augmentation significative des décès lors de refus d'obtempérer. La police française commet plus d'homicides que celles des pays voisins et, au sein des forces de l'ordre françaises, la police commet plus d'homicides que la gendarmerie. Pour autant, aucune annonce gouvernementale ou présidentielle n'a été faite sur l'absolue nécessité de réformer l'usage des armes à feu par la police (article L435-1 du Code de sécurité intérieure) ni de réformer la formation des policiers. Le déni demeure.

2. Le dévoiement de la police

On ne peut effectuer de généralisation sur l'ensemble de la police. La très grande majorité des fonctionnaires de police effectuent leur travail avec une déontologie exemplaire malgré des conditions de travail toujours plus dégradées. Pour autant, la multiplication des violences policières est un fait que personne ne peut nier. La police qui doit rassurer inspire aujourd'hui, pour une très grande partie de la population, plus de crainte que de confiance. La police qui doit garantir l’état de droit devient elle-même un vecteur de discriminations. Le lien entre les citoyens et les forces de l'ordre est rompu.

Certains pensent que les exactions commises sont le fait de policiers individuels sans que cela ne remette en question l’institution. L'ONU pointe, à l’inverse, un problème structurel de racisme dans la police française. Posons la question de l’évolution des missions confiées à la police et des moyens qui lui sont donnés pour les mettre en œuvre.  

Le rôle de la police française a été progressivement dévoyé, détourné de ses missions de protection pour devenir un outil de seule répression. La politique de prévention a été délaissée et la police de proximité a été supprimée. Le message continu envoyé par plusieurs ministres de l’intérieur (Sarkozy, Valls, Darmanin) est un message caricatural de fermeté. Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs ont organisé, de manière totalement irresponsable, une systématisation de la répression policière des mouvements sociaux : gilets jaunes, mouvement contre la réforme des retraites, Z.A.D. et mouvements écologistes. L'usage des LBD et de la technique de la nasse, pourtant abandonnés par de nombreux pays voisins, est maintenu. Des violences graves et des mutilations ont eu lieu de façon répétée sans que des consignes claires ne soient données. Ces pratiques sont indignes d’une police républicaine. La répression organisée, visant très fréquemment les jeunes, a pris sous le macronisme des proportions alarmantes.

Emmanuel Macron a, de plus, alimenté un sentiment d'impunité des forces de l'ordre dès l'affaire Benala : qu'un proche du chef de l'État commette des violences policières et soit protégé par le chef de l'État lui-même constitue une violence symbolique inouïe.

Notre histoire collective est marquée par des cas récurrents de violences policières : Zyed Benna et Bouna Traoré, morts électrocutés dans un transformateur EDF en tentant d’échapper à un contrôle d’identité ; Adama Traoré et Cédric Chouviat, morts par asphyxie à la suite de plaquages ventraux ; Gaye Camara, tué par un tir de policier ; Zineb Redhouane, tuée par le tir d’un gaz lacrymogène à la fenêtre de son appartement ; etc.

Nous devons nous donner les moyens de réformer la police et son fonctionnement, et et de repenser sa fonction même, afin de réduire au maximum ses dérives et ses exactions et de la rendre plus efficiente. 

Malgré les multiples alertes sur les dysfonctionnements structurels de la police française, y compris venant d’organisations internationales, aucune annonce gouvernementale ou présidentielle n'a été faite laissant espérer une action de fond pour réformer la police.

3. La neutralisation de toute opposition démocratique

Le macronisme n'a laissé aucune chance ni à l'action démocratique ni à la protestation sociale. Emmanuel Macron et sa majorité, par leur blocage systématique de l'action parlementaire de l'opposition, ont réussi à imprégner dans le pays l'idée que la démocratie représentative ne peut plus avoir d'impact sur eux. Dans le même temps, en ne donnant aucun débouché aux contestations sociales (gilets jaunes, mouvement contre les retraites, Z.A.D, etc.), ils ont voulu démontrer que les mouvements sociaux n'avaient, eux aussi, plus aucun effet sur eux.

Le revers de la médaille de l'exercice autoritaire du pouvoir est connu : on donne le sentiment au peuple que, puisque tout forme d'opposition démocratique est, par avance, inutile, seules les solutions extrêmes et l’action violente permettent de se faire entendre. Ainsi progressent, en parallèle, l'extrême droite et les tensions urbaines. Le pouvoir autoritaire s'aveugle et refuse de comprendre qu'écraser ses adversaires modérés et toute tentative d’opposition démocratique renforce les extrêmes et pousse à la radicalité. 

A cela s'ajoute un trait propre à l'exercice du pouvoir par Emmanuel Macron : le mépris. Ceux qui ne sont « rien », les « illettrés », ceux qui n’ont qu’à « traverser la rue » pour trouver un travail, ceux qui coûtent à la France « un pognon de dingue », ceux qui « se plaignent » et sont « réfractaires au changement », ceux qui ont perdu « le sens de l’effort », ceux qu'il veut "emmerder", les "factieux"... le chef de l'Etat n'a eu de cesse, depuis son accession au pouvoir, d'étaler un insupportable mépris et une condescendance insultante. Sa manière d'exercer et d'incarner le pouvoir ne peut qu'alimenter la colère, la rancœur et les réactions violentes. 

4. Inflation, covid et ghettoïsation

En refusant idéologiquement de protéger réellement les français de l'inflation et en refusant de mener une politique sociale ambitieuse, le macronisme plonge l'ensemble des classes moyennes et des personnes pauvres dans une spirale de privation et de précarisation accrue. L'impact psychologique du manque, de l'amoncèlement des difficultés sans espoir d'une vie meilleure, doublé du sentiment d'être confrontés à un pouvoir sourd aux revendications légitimes, génère un désarroi collectif profond. 

Cette inflation a, de plus, été précédée par la crise du Covid. La gestion sécuritaire de la pandémie et l'impact du confinement sans que les promesses du "jour d'après" ne soient tenues ont joué un rôle déterminant dans la crise actuelle. Alors que le pays sortait du Covid et subissait un climat anxiogène avec la guerre en Ukraine, alors que l'urgence écologique créé une anxiété structurelle forte, notamment chez les jeunes, Emmanuel Macron a imposé un bras de fer au pays sur la réforme des retraites et a déployé une répression policière des manifestants, mettant encore les forces de l'ordre en première ligne.

La crise du Covid a accentué les inégalités sociales et a été vécue comme un traumatisme plus fort encore dans les quartiers difficiles et les "cités". L'absence de politique ambitieuse de lutte contre la ghettoïsation depuis l’abandon du plan Borloo constitue une faute politique majeure. 

Au constat d’abandon des quartiers s’ajoute un sentiment d’injustice et de discrimination dont on ne mesure pas les effets. Chaque contrôle au faciès est vécu comme une humiliation. La répétition des contrôles d’identité provoque une rupture d’égalité et une colère sourde qui ne demande qu’à exploser.  Le dévoiement de la police républicaine transforme la jeunesse des quartiers en bombe à retardement.

Quel espoir est-il donné aux habitants de ces quartiers ? Qu'est-il permis d'espérer à la jeunesse de nos cités ? 

5. Les violences urbaines

Les violences urbaines sont destructrices et n'apportent aucune solution. Elles accentuent le fossé qui isole les populations ghettoïsées. Une forme nouvelle de violences voit le jour avec des attaques ciblées sur des élus, jusqu'à l'attaque à la voiture bélier de la maison du maire de l'Haÿ-Les-Roses, Vincent Jembrun.

S’il faut bien évidemment garantir la protection des personnes et des biens, instaurer des couvre-feux, une surveillance par hélicoptères et drones, un déploiement de forces de l'ordre ou un énième état d'urgence, comme en 2005, sans qu’aucune politique structurelle ambitieuse ne soit ensuite mise en œuvre ne résoudra pas les difficultés actuelles.

Lorsque l'on grandit dans un monde clôt, déclassé, oppressant et violent et que l'on se révolte, la première chose que l'on tente de détruire est cet environnement immédiat que l'on ne supporte plus. Oui, les premières victimes des violences urbaines sont les habitants des quartiers difficiles eux-mêmes. Mais s'offusquer de ce que les jeunes subissant depuis leur naissance une ghettoïsation sans espoir tentent de casser et de brûler le ghetto qui les enferme, c'est refuser de voir l'impact de la ghettoïsation. S'étonner que des jeunes en échec scolaire, qui se sentent rejetés par le système éducatif et qui vivent ce rejet comme une blessure profonde s'en prennent aux écoles, c'est refuser de prendre en compte les effets sociaux de l'échec scolaire. S'étonner que les personnes subissant une pauvreté et une précarité endémiques se livrent à des pillages c'est refuser de prendre en compte les effets de la privation, du manque, et de la frustration collective accentués par la crise sociale. 

La violence appelle la violence et les pouvoirs publics doivent trouver l'issue pour en sortir.

6. Comment sortir de la spirale de violences ?

Les droites extrêmes et les extrêmes droites françaises et leurs relais médiatiques attisent les tensions et poussent l'exécutif à toujours plus de répression, mais là n’est pas la solution.

Les causes profondes des maux évoqués ici sont bien antérieures à l'arrivée aux responsabilités d'Emmanuel Macron. Pour autant, l'action du chef de l'Etat, de sa majorité et de ses gouvernements successifs ont favorisé l'escalade des violences.

S'il a justement rappelé que "rien ne justifie la mort d'un jeune" à la suite du décès de Nahel, le chef de l'Etat doit désormais prendre la parole :

- Sortir du déni sur les violences policières : refonte du cadre légal de l'usage des armes à feu et abrogation de la loi Cazeneuve de 2017 (article 435-1 du code de la sécurité intérieur), interdiction des LBD et de la technique de la nasse, interdiction des techniques d’immobilisations létales (plaquage ventral, clé d’étranglement), fin des contrôles au faciès, instauration d’un récépissé de contrôle d’identité, dépaysement systématique des enquêtes lors de cas de violences policières, remplacement de l’IGPN par une autorité indépendante et pluridisciplinaire, etc.

- Repenser le rôle et le fonctionnement des forces de l’ordre : redéfinition des missions, augmentation des moyens et amélioration des conditions de travail, réforme de la formation des policiers, clarification de l'organisation et de la répartition des différentes forces de l'ordre en France, du statut des polices municipales et du rôle des sociétés privées de sécurité, restauration de la police de proximité, etc.

- Réponse sociale forte et immédiate face à l'inflation : blocage des prix des produits de première nécessité et blocage des loyers, mise en œuvre d’une véritable politique de justice sociale et de répartition des richesses.

- Déployer une politique d'envergure contre la ghettoïsation des banlieues : repenser la mixité sociale, oser la réconciliation nationale, poser comme objectif la restauration de l’égalité républicaine et la fin des discriminations, réactiver le plan Borloo, donner une priorité nationale à la rénovation urbaine, au logement et à l’habitat, en finir avec la ségrégation urbaine et désenclaver prioritairement les quartiers sensibles, renforcer l’école et les services publics, améliorer les conditions de vie quotidienne dans les quartiers difficiles, etc.

Il faut redonner des perspectives à la jeunesse du pays et lui offrir, enfin, des raisons d'espérer.

 

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