mercredi 5 juillet 2023

Mères isolées en cités

 

Mères isolées en cités


On entend un discours paternaliste et xénophobe expliquer dans les médias qu'il faut responsabiliser les parents et qu'il faut couper les allocations familiales des familles dont l'un des enfants a participé à des pillages, ajouter une sanction sociale à la condamnation judiciaire... Bref, culpabiliser et punir. 

Je vais, en réponse, vous parler de Djamila, dont j'ai bien sûr changé le prénom. Djamila m'a contacté sur les réseaux sociaux l'an dernier car elle avait vu que notre association "Tous citoyens" aidait les personnes vulnérables. 

Djamila était mariée, deux enfants et vivait rue Lépante à Nice. Son mari était devenu alcoolique et violent. Pour se protéger et protéger ses enfants elle l'a quitté. Depuis sa séparation son univers social s'est effondré. Passé le temps de l'entraide d'une partie de sa famille et des amis, passé un hébergement social temporaire du 115, Djamila a demandé un logement social, dûment accompagnée par des travailleurs sociaux.

Le motif de son appel à l'aide était simple : si elle refusait trois propositions de logements sociaux, sa demande était radiée. "Est-ce que c'est normal ? Ils ont le droit de faire ça ? Vous pouvez m'aider ?"
Côte d'Azur Habitat, principal bailleur social à Nice, lui a proposé un logement social à Pasteur, quartier défavorisé. Lors de la visite, Djamila a vu les traces de moisissures lavées à la javel sur les murs et le plafond de la chambre des enfants, l'odeur d'humidité et les traces de champignons tout autour de la salle de bain. Elle a refusé ce logement et le bailleur social lui en a proposé un second aux Moulins, autre quartier défavorisé de Nice : boîtes aux lettres défoncées, caves "occupées" par les jeunes de l'immeuble et inaccessibles aux locataires, etc. Après ce second refus la dame de Côte d'Azur Habitat a expliqué à Djamila que la troisième proposition serait la dernière, qu'elle avait "bien de la chance" qu'on lui fasse encore une proposition et que dans sa situation elle devait "protéger ses enfants en leur mettant un toit sur la tête". Dernière proposition : l'Ariane nord, autre quartier sensible à Nice.

J'étais là. J'étais là au moment où la vie de Djamila et de ses enfants a basculé. J'ai vu quelque chose se briser dans son regard. Accepter de se résigner. Accepter un si sombre destin. Personne ne veut vivre dans une cité. Personne ne veut y élever ses enfants. Je n'ai pu que confirmer la règle injuste des trois propositions et l'orienter vers une association spécialisée dans le logement social pour tenter de trouver une autre solution. 

Combien de femmes payent ainsi leur isolement et leur indépendance ? Il y avait dans la famille de Djamila, des oncles et tantes qui pensaient qu'elle aurait dû rester avec son mari, que c'est normal qu'un mari "corrige" sa femme. Il y avait son père pour qui une femme divorcée est un "déshonneur" dans la famille.

Les mères isolées cumulent très souvent plusieurs emplois précaires et élèvent seules leurs enfants. Piégées par le manque de revenus elles ne peuvent plus s'extraire des citées et trouver un logement privé qui leur soit accessible. Piégées par un univers violent, l'emprise de la délinquance et de la drogue sur les quartiers, elles voient leurs enfants leur échapper alors qu'elles font tout pour les protéger.

Je n'ai plus de nouvelles de Djamila. Depuis le début de la révolte des banlieues suite à l'homicide du jeune Nahel, je pense à elle. Son fils aîné a-t-il participé aux émeutes ? A-t-elle pu l'en empêcher malgré son travail de nuit ?

Djamila et ses enfants sont désormais pris dans cette "fabrique des violences" que j'ai déjà décrite ici.

Je tiens à rendre hommage à toutes ces mères isolées qui luttent pour leurs enfants et qui payent si cher le prix de leur indépendance.

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