"Cinquièmes colonnes islamistes", "3eme guerre mondiale", Christian Estrosi est encore monté d'un cran dans le discours alarmiste qu'il affectionne tant.
Les commentateurs nationaux semblent découvrir le populisme ordinaire du député maire de Nice, dont l'exploitation de la peur et la désignation de l'ennemi de l'intérieur font partie de l'arsenal rhétorique habituel.
Tout comme le Front National de Jean-Marie le Pen, Christian Estrosi pointe de réels problèmes, avec des termes outranciers et des solutions erronées aux conséquences dangereuses.
Le discours de Christian Estrosi, tel un vieux tract FN des années 80, alimente le mal qu il prétend combattre.
Le terrorisme est tout sauf une nouvelle guerre de tranchées opposant des Etats constitués avec des armées régulières, clairement identifiables à leurs uniformes et leurs drapeaux. Le terrorisme, à défaut de pouvoir vaincre militairement son adversaire sur un champ de bataille, insinue en lui une sourde crainte puis le frappe de terreur par des actes d'une violence exceptionnelle et gratuite. Décapiter sous les caméras un occidental pris en otage, comme le niçois Hervé Gourdel, veut dire qu'aucun occidental n'est en sécurité à l'étranger. Faire s'écraser des avions sur les Twin Towers veut dire qu'aucun pays occidental, fusse-t-il le plus puissant du monde, n'est à l'abris, même sur son propre sol. Le danger est partout. La mort peut survenir à tout moment. La peur de la mort violente, telle est l'arme du terroriste. Lorsque l'on est un responsable politique réellement "responsable", on doit dire la vérité au peuple et ne pas lui cacher les risques encourus. Mais en aucun cas on ne doit alimenter inutilement les peurs. Tenir un discours alarmiste est contre productif puisque cela fait le jeu des terroristes.
Parler de troisième guerre mondiale est donc non seulement faux mais également dangereux : on ne combat pas le terrorisme en ajoutant de la peur à la terreur qu'il inspire.
L'expression de "cinquième colonne" désigne les ennemis qui, à l'intérieur du pays, œuvrent contre nous et qu'il faut débusquer pour se protéger. On entre alors dans une logique de suspicion généralisée. Tout individu devient un ennemi potentiel. Alors qu'autrefois on surveillait les mouvements de l'ennemi à l'extérieur de nos frontières, on doit désormais se surveiller les uns les autres. L'argument estrosien, depuis déjà bien longtemps, à Nice, est : les braves gens, ceux qui n'ont rien à se reprocher, ne doivent pas craindre de vivre dans la ville la plus vidéo surveillée de France. La sécurité, poussée par la crainte de tous contre tous, devient une question omniprésente et supplante toute autre priorité, y compris celle des libertés individuelles. Si le terrorisme combat nos libertés, ce n'est pas en renonçant à nos libertés que nous le combattrons.
Ce climat incitera certains à distinguer les bons des mauvais français. Christian Estrosi allant jusqu'à déclarer : "La carte d'identité ne fait pas un Français". Quels sont donc selon lui les conditions pour être reconnu comme un français ? Et qui en décidera ? La France du Maréchal Pétain posait déjà la question...
L'ennemi de l'intérieur, ce fut le républicain pour l'Espagne franquiste, le communiste pour l'Amérique du MacCarthysme ou le juif pour la France de Vichy à qui l'on assigna, pour le reconnaître, le port de l'étoile jaune. Vivre dans la crainte de l'ennemi de l'intérieur peut déjà mener, comme à Nice, encore, à interroger au poste de police un enfant de 8 ans pour suspicion de prosélytisme... Inciter à la défiance généralisée et à la délation est un acte irresponsable.
En parlant de "cinquièmes colonnes islamistes en France", Christian Estrosi désigne déjà l'ennemi à combattre à l'intérieur de nos frontières, celui qui menace "notre civilisation judéo-chrétienne", désignant ainsi chacun des deux camps par une appartenance religieuse. Et, s'il précise aujourd'hui que des français musulmans sont victimes de ces cinquièmes colonnes islamistes, il n'hésitait pas à faire l'amalgame, hier, en déclarant l'Islam incompatible avec la République. Entrer dans cette logique ne fait que diviser son propre camp alors que le danger du terrorisme nécessite l'unité.
Parler de cinquièmes colonnes est une faute qui peut avoir de lourdes conséquences : on ne combat pas le terrorisme en brisant l'unité nationale.
Christian Estrosi évoque également l'islamo-fascisme, terme déjà utilisé à tort par Manuel Valls : le fascisme repose sur un Etat fort, et, même si Daesch tente de se constituer en Etat islamique structuré, le fonctionnement d'Al Qaida et de Daesch repose davantage sur le réseau que sur la structure étatique. Si l'on devait absolument trouver une référence historique pour désigner un phénomène pourtant radicalement nouveau dans sa complexité (quand bien même les éléments le composant ne le soient pas), il faudrait se référer à la volonté du totalitarisme de contrôler la population jusque dans ses mœurs, sa sphère privée, son éducation et ses lectures.
Enfin, Christian Estrosi affirme que ces cinquièmes colonnes islamistes grandissent clandestinement dans nos caves. Or, précisément, il a récemment déclaré qu'il s'opposait à la construction de toute mosquée future à Nice. Se faisant il enfreint les règles de la laïcité et la neutralité due aux pouvoirs politiques, même locaux, en matière de religion. Plus encore, cette déclaration constitue une entrave à la liberté de culte, confirmée par les actes du maire de Nice qui, dès qu'un terrain fait l'objet d'un projet de lieu de culte musulman, le préempte ou le rachète pour en faire tantôt un commissariat, tantôt un projet de crèche. Mais, pire, il entretient l'islam des caves où chacun peut s'improviser imam et embrigader des jeunes désœuvrés alors que les lieux de cultes officiels sont plus facilement contrôlable et évitent la multiplication des lieux de prêche.
En réalité, l'opposition ne se situe pas entre l'Islam d'un côté et la civilisation judéo-chrétienne de l'autre, laissant ainsi penser à un choc des civilisations, mais entre une nouvelle forme d'asservissement et de domination totalisatrice d'un côté et les défenseurs de la liberté de l'autre. Au nom du christianisme, on soigne, on distribue de la nourriture, on enseigne, et l'on a pourtant fait, hier, les guerres de religions et brûlé les "impies" sur des bûchers. Au nom de l'Islam, on soigne, on distribue de la nourriture, on enseigne et on lapide pourtant, aujourd'hui, les femmes "infidèles" et on pose des bombes dans des attentats suicides. La folie meurtrière et la recherche effrénée du pouvoir prendra toujours tous les prétextes pour tuer et asseoir une domination, que ce soit le culte de l'être suprême, un désir de revanche, une théorie des races ou, ici, la religion. Et à chaque fois que des hommes, sous couvert de religion, réussiront à persuader d'autres hommes de se battre et de mourir, et, comme l'écrit Spinoza, "de combattre pour leur servitude comme s'il s'agissait de leur salut", le processus théologico-politique fonctionnera à nouveau. La distinction se situe plus entre rationalité et croyance qu'entre telle ou telle civilisation définie par sa prédominance religieuse.
Les Alpes-Maritimes sont le département de France enregistrant le plus de départ pour le Djihad. Ce n'est pas dans l'excès de stigmatisation, l'alimentation des peurs et l'instauration d'un climat de suspicion et de délation que l'on pourra répondre à un phénomène d'une telle gravité. Si l'on doit prendre des mesures à la hauteur de l'enjeu, les pouvoirs publics se doivent d'agir avec discernement.
Dans le discours apocalyptique de Christian Estrosi, pas un mot d'éventuelles solutions, pas un mot de l'indispensable travail de prévention auprès des familles, des encadrants, des enseignants, pas un mot pour dire comment lutter contre l'Islam des caves, si l'Etat doit intervenir ou non dans la réorganisation de l'Islam de France, pas un mot même sur la lutte armée contre Daesch et Al Qaida. Le député maire de Nice dénonce sans proposer. Éduquer le citoyen nous disait Rousseau : oui, afin qu'il soit en mesure de lutter contre la propagande et l'endoctrinement. Offrir un avenir à la jeunesse surtout, ici, en France, pour que les sirènes du Djihad soient comparativement moins attractives. Mais Christian Estrosi ne se soucie pas de tout cela, il se contente d'accroître sa notoriété sur le drame qui se joue sous nos yeux.
Le populisme de Christian Estrosi, n'hésitant pas à tenir un discours irresponsable à des fins électorales évidentes, devrait normalement suffire à disqualifier l'individu. Encore faut il espérer que les citoyens soient conscients de la gravité de ses propos et de ses actes.