Nice a connu un double traumatisme : le drame du 14 juillet 2016 et l'indignité de l'après 14 juillet. Nous devons penser Nice, penser le 14 juillet, entre meurtre de masse et djihadisme, et penser l'après 14 juillet, l'impossible minute de silence du 18 juillet, la libération de la parole raciste et la violence des polémiques incessantes. Nous devons penser Nice pour panser Nice, ensemble.
"Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au cœur du commun combat"
(Aragon, La rose et le réséda)
Qu’un homme, au volant d’un 19 tonnes, fonce sciemment sur la foule festive, faisant 86 morts et plus de 400 blessés, cela dépasse l’entendement. C’est pourtant ce qui s’est passé, il y a trois mois jour pour jour, le 14 juillet 2016 à Nice.
A ce terrible drame s’est ajoutée une seconde blessure, d’une nature bien différente mais désormais intimement liée à l’événement : les odieuses polémiques politiciennes, la libération de la parole raciste et l’image déplorable donnée de notre ville au pire moment de son histoire.
Les corps quittant à peine l’asphalte, se déchaînaient déjà les irresponsables : accuser, trouver des coupables, désigner des boucs émissaires.
Après l’indécent voyeurisme médiatique, l’écœurante panoplie de la démagogie, du populisme et de la récupération politicienne s’est déployée à Nice sans l’ombre d’une hésitation, sans la moindre retenue, sans le moindre respect pour nos morts.
Oui, nous avons besoin de vérité, oui, nous voulons comprendre les dysfonctionnements des dispositifs de sécurité, mais pas au prix de notre dignité commune, pas au prix de notre indispensable union face à la barbarie qui nous frappe.
Puis, quatre jours après le drame, il y eu l’impossible minute de silence. Alors qu’après les attentats de Charlie Hebdo, du Bataclan ou plus tard de Saint-Etienne-du-Rouvray l’unité et la dignité étaient visibles par tous, nous, habitants de la 5ème ville de France, nous sommes avérés inaptes à respecter ne serait-ce qu’une minute de silence en hommage à nos morts.
Comment analyser ces soixante secondes symboliques où, en plus des huées à l’attention des politiques, les invectives racistes et islamophobes ont fusées de part et d’autre de la Promenade des Anglais où près de 42 000 personnes s’étaient rassemblées ?
Que révèle cette propagation de la haine partout dans la ville, d’insultes en altercations, comme si la xénophobie y était devenue un réflexe naturel, une norme inconsciente, une seconde nature ?
Il a fallu attendre une initiative citoyenne pour que, le 7 août, nous puissions dignement rendre hommage aux victimes, mais nous n’étions qu’un petit millier de personnes.
Puis vint la polémique sur le burkini, d’une violence inouïe, et l’amplification de l'hystérie collective autour de l’islam, qui apparaissent aujourd’hui comme un exutoire cruel à notre impuissance commune à lutter le terrorisme.
Prendre des arrêtés liberticides rétablissant police des mœurs et discrimination institutionnalisée n’empêchera pas de nouveaux attentats sur le sol français.
Devant ce déferlement de haine, nous devons comprendre la portée de ce qui s’est passé à Nice. Nous devons penser Nice pour panser nos plaies. Nous devons penser Nice pour panser Nice.
Or qu’avons-nous à penser ? De quoi devons-nous prendre la mesure afin de pouvoir agir collectivement de façon juste et vivre ensemble de façon digne ?
Nous devons penser le 14 juillet, entre attentat ou meurtre de masse, entre folie ou fanatisme, défaillances des uns et des autres, mais aussi responsabilité collective. Puis nous devons penser l’après 14 juillet, l’impossible minute de silence du 18 juillet, le déferlement de xénophobie et de haine dans la 5ème ville de France, l’assentiment général devant des mesures discriminatoires et stigmatisantes.