samedi 26 novembre 2016

Roya : désobéissance civile ou carence de l'Etat ?

 En décembre 2015, le Tribunal de Grande Instance de Grasse rétablissait, de fait, le délit de solidarité pourtant supprimé par la loi de janvier 2014, en condamnant Claire, 72 ans, pour un geste d'humanité (lire ici). Le Parquet de Nice poursuit aujourd'hui Cédric Herrou et Pierre Alain Mannoni pour la même raison.
J'ai rencontré Pierre Alain Mannoni lors de son procès, à Nice, le 23 novembre 2016. Le Procureur de la République a requis à son encontre - mois de prison avec sursis. Mais ce procès, à travers et au-delà de Pierre Alain, c'est le procès intenté à l'empathie, l'entraide et l'humanisme. 
Car s'il y a des citoyens désobeisseurs dans la vallée de la Roya, c'est avant tout parce que l'Etat et le Conseil Départemental des Alpes-Maritimes n'assument pas leurs obligations légales.
Or qui place aujourd'hui la solidarité sur le banc des accusés ? L'Etat, celui-là même qui ne porte pas assistance à personne en danger et qui vient stigmatiser ceux qui pallient à sa propre incurie.

Manifestation de soutien à Pierre Alain Mannoni lors de son procès à Nice

Les mineurs isolés non pris en charge
Un mineur isolé, c'est-à-dire un enfant ou un adolescent sans parent ni autre représentant légal, qu'il soit étranger ou non, doit être pris en charge par les pouvoirs publics au titre de la protection de l'enfance. Et il a droit à la protection et l'assistance de la France jusqu'à sa majorité.
Ainsi, si des habitants de la Vallée de la Roya, frontalière de l'Italie, doivent porter secours par leurs propres moyens aux mineurs isolés qu'ils voient errer sur les routes de montagne, en hivers, c'est parce que les pouvoirs publics ne jouent pas leur rôle. 
J'en appelle donc en premier lieu au nouveau Préfet des Alpes-Maritimes, M. Georges François Leclerc, pour que l'Etat remplisse ses obligations légales et que les Alpes-Maritimes ne restent pas une zone de non droit. 
J'en appelle en second lieu à Eric Ciotti, président du Conseil Départemental des Alpes-Maritimes, pour qu'il assume enfin les obligations légales qui incombent à sa collectivité et qu'il ouvre un lieu d'accueil supplémentaire pour mineurs isolés, près de la frontière italienne.
Un nouveau Calais à Vintimille
Concernant les majeurs, si l'on peut tergiverser sur les aspects juridiques, l'analyse de la décision politique est sans appel : le gouvernement français est en train de créer un nouveau Calais à Vintimille. Et la France agit vis-à-vis de l'Italie comme l'Angleterre a agit envers elle.
Combien de morts aura-t-il fallu, de personnes tentant de gagner l'Angleterre et y laissant leurs vies, pour que l'on démantèle enfin la jungle de Calais ? Combien de morts faudra-t-il à Vintimille et dans la Roya ?
Une jeune réfugiée de 17 ans, Mjmelet Berhal, est décédée récemment, renversée par un camion sur l'autoroute en tentant d'atteindre la frontière française. Un migrant est également porté disparu, vraisemblablement emporté par une crue de la Roya. Combien de drames encore avant que les autorités ne se décident à agir ?
J'ajoute que, sur le fond, rien ne justifie le fait d'empêcher des individus de déposer une demande d'asile dans le pays de leur choix et la fermeture de la frontière ne fait qu'enrichir les passeur et alimenter la traite des être humains.
Osons le dire envers et contre l'opinion communément admise : la libre circulation des individus devrait être la règle et constitue la seule solution viable. Il faut ré ouvrir la frontière italienne de toute urgence.
Où s'arrête le devoir de secours ?
Pierre Alain Mannoni a secouru trois jeunes Érythréennes, dont une mineure, qui ont traversé une partie du Sahara, le Soudan, la Libye, la méditerranée, qui sont restées plus ou moins longtemps dans les camps en Italie puis ont passé la frontière italo-française par la montagne.
Face à Pierre Alain, homme sensé et profondément humain, le procureur de la République, Jean-Michel Prètre, a tenté de dissocier le secours, acte noble et non poursuivi, de l'aide à l'hébergement et l'aide à la circulation de personnes en situation irrégulière. Mais le raisonnement du Procureur souffre d'au moins de deux erreurs majeures. 
La première est la limite entre le secours, l'hébergement et la circulation : où s'arrête le devoir de secours ? Faut-il, après avoir nourri et soigné une personne nécessitant un secours, la laisser sur le bord d'une route de montagne en hivers et sans moyen ? La remettre aux autorités en sachant qu'elle va être renvoyée en Italie et tentera à nouveau de passer la frontière au risque de sa vie ? Ne vaut-il pas mieux l'aider à rejoindre le reste de sa famille en Allemagne ou en Angleterre où elle demandera l'asile ? Secourir quelqu'un, est-ce vraiment ne voir qu'à court terme sans se soucier de ce qu'il adviendra demain de la personne secourue ? Quand des secouristes aident une personne ils ne vont pas simplement apporter les soins d'urgence, ils vont s'assurer ensuite du devenir de la personne et ne la quittent qu'une fois qu'elle est prise en charge et sécurisée.
La seconde erreur consiste à dire que Pierre Alain Mannoni a aidé à la circulation des personnes en situation irrégulière. Les trois Érythréennes qu'il a aidé ne sont que en situation irrégulière que parce que la France a décidé arbitrairement de fermer sa frontière avec l'Italie et qu'elle refuse de ce fait d'enregistrer leurs demandes d'asile. Un demandeur d'asile n'est en situation irrégulière que si sa demande est étudiée puis rejetée et qu'il reste malgré ce rejet. Mais on n'a même pas permis à ces trois personnes de déposer une demande d'asile en France.
Aider son prochain, tendre la main, secourir des personnes en souffrance, voilà ce que chacun d'entre nous devrait faire. Voilà ce que les pouvoirs publics devraient nous encourager à faire. Et voilà ce dont on accuse Pierre Alain Mannoni qui, par son geste d'humanité, montre l'absence d'humanité de nos dirigeants.
Dans les Alpes-Maritimes, c'est donc bien la faute de l'Etat et du Conseil Départemental qui pousse les citoyens à la désobéissance civile. Mais qu'ils prennent gardent, car nous sommes tous solidaires des citoyens solidaires de la Roya. Et le geste de Claire, de Cédric, de Pierre Alain et de bien d'autres, au fond, c'est notre honneur à tous, et c'est l'honneur de la France.

mercredi 9 novembre 2016

Election de Donald Trump, une victoire de plus pour le populisme

La victoire de Donald Trump n'est pas seulement une victoire des Républicains sur les Démocrates, c'est une victoire du populisme contre la démocratie et donc une défaite de la démocratie contre elle-même.

De nombreuses questions se posent : quelle politique internationale pour la France et l'Europe vis-à-vis des Etats-Unis ? Au sein de l'OTAN et de la coalition ? Aurons-nous enfin une politique étrangère européenne indépendante et cohérente ?

Mais, au-delà de ces questions, le populisme progresse et acte le désaveu de la classe politique dans son ensemble. Il se nourrit de la peur, du rejet de l'autre et du repli identitaire.

"Éduquer le citoyen" nous disait Rousseau. Le populisme gagne du terrain en France également. Saurons-nous le combattre et l'empêcher d'accéder au pouvoir en 2017 ?

La refondation de la politique n'est pas un simple slogan, c'est une urgente nécessité. Il revient à chaque citoyen d'y participer et de mener ce combat.

jeudi 13 octobre 2016

14 juillet 2016, défaite nationale

Nice a connu un double traumatisme : le drame du 14 juillet 2016 et l'indignité de l'après 14 juillet. Nous devons penser Nice, penser le 14 juillet, entre meurtre de masse et djihadisme, et penser l'après 14 juillet, l'impossible minute de silence du 18 juillet, la libération de la parole raciste et la violence des polémiques incessantes. Nous devons penser Nice pour panser Nice, ensemble.



"Quand les blés sont sous la grêle

Fou qui fait le délicat

Fou qui songe à ses querelles

Au cœur du commun combat"

(Aragon, La rose et le réséda)


Qu’un homme, au volant d’un 19 tonnes, fonce sciemment sur la foule festive, faisant 86 morts et plus de 400 blessés, cela dépasse l’entendement. C’est pourtant ce qui s’est passé, il y a trois mois jour pour jour, le 14 juillet 2016 à Nice.

A ce terrible drame s’est ajoutée une seconde blessure, d’une nature bien différente mais désormais intimement liée à l’événement : les odieuses polémiques politiciennes, la libération de la parole raciste et l’image déplorable donnée de notre ville au pire moment de son histoire. 

Les corps quittant à peine l’asphalte, se déchaînaient déjà les irresponsables : accuser, trouver des coupables, désigner des boucs émissaires. 

Après l’indécent voyeurisme médiatique, l’écœurante panoplie de la démagogie, du populisme et de la récupération politicienne s’est déployée à Nice sans l’ombre d’une hésitation, sans la moindre retenue, sans le moindre respect pour nos morts.

Oui, nous avons besoin de vérité, oui, nous voulons comprendre les dysfonctionnements des dispositifs de sécurité, mais pas au prix de notre dignité commune, pas au prix de notre indispensable union face à la barbarie qui nous frappe.

Puis, quatre jours après le drame, il y eu l’impossible minute de silence. Alors qu’après les attentats de Charlie Hebdo, du Bataclan ou plus tard de Saint-Etienne-du-Rouvray l’unité et la dignité étaient visibles par tous, nous, habitants de la 5ème ville de France, nous sommes avérés inaptes à respecter ne serait-ce qu’une minute de silence en hommage à nos morts.

Comment analyser ces soixante secondes symboliques où, en plus des huées à l’attention des politiques, les invectives racistes et islamophobes ont fusées de part et d’autre de la Promenade des Anglais où près de 42 000 personnes s’étaient rassemblées ?

Que révèle cette propagation de la haine partout dans la ville, d’insultes en altercations, comme si la xénophobie y était devenue un réflexe naturel, une norme inconsciente, une seconde nature ?

Il a fallu attendre une initiative citoyenne pour que, le 7 août, nous puissions dignement rendre hommage aux victimes, mais nous n’étions qu’un petit millier de personnes.

Puis vint la polémique sur le burkini, d’une violence inouïe, et l’amplification de l'hystérie collective autour de l’islam, qui apparaissent aujourd’hui comme un exutoire cruel à notre impuissance commune à lutter le terrorisme.

Prendre des arrêtés liberticides rétablissant police des mœurs et discrimination institutionnalisée n’empêchera pas de nouveaux attentats sur le sol français.

Devant ce déferlement de haine, nous devons comprendre la portée de ce qui s’est passé à Nice. Nous devons penser Nice pour panser nos plaies. Nous devons penser Nice pour panser Nice. 

Or qu’avons-nous à penser ? De quoi devons-nous prendre la mesure afin de pouvoir agir collectivement de façon juste et vivre ensemble de façon digne ? 

Nous devons penser le 14 juillet, entre attentat ou meurtre de masse, entre folie ou fanatisme, défaillances des uns et des autres, mais aussi responsabilité collective. Puis nous devons penser l’après 14 juillet, l’impossible minute de silence du 18 juillet, le déferlement de xénophobie et de haine dans la 5ème ville de France, l’assentiment général devant des mesures discriminatoires et stigmatisantes.

mercredi 12 octobre 2016

Communiqué de presse : "Pour un hommage national aux victimes accessible aux Niçois"

L'hommage national aux victimes du 14 juillet 2016, s'il permet à la Nation de se recueillir grâce à sa retransmission télévisée, doit aussi permettre aux Niçois, localement, de se rassembler massivement et d'honorer leurs morts.

L'hommage aura lieu en semaine à 11h, ce qui empêche les actifs de venir. Il aura lieu sur la colline du Château qui est un espace limité, vraisemblablement sur carton d'invitation. Nous apprenons par la presse que les écrans géants prévus en ville ne seraient pas installés. Demande-t-on aux Niçois de commémorer leurs morts chez eux, devant leurs postes de télévisions ?

Commémorer c'est se souvenir ensemble, partager un récit commun et s'ancrer dans une histoire commune. C'est une étape importante de la réparation et de la reconstruction individuelle et collective.

Au lendemain du drame, Nice a été la proie et d'un voyeurisme médiatique indécent et de polémiques politiciennes odieuses. Nous avons plus que jamais besoin d'unité et de dignité.

L'hommage nationale aux victimes du 14 juillet doit conserver une indispensable dimension populaire et ne doit en aucun cas devenir un événement "VIP", inaccessible aux Niçois endeuillés.