vendredi 28 décembre 2012

Agression d'un policier à Nice : les limites de la vidéosurveillance




L'agression d'un adjoint de sécurité à Nice le 25 décembre (lire ici) est révélateur à bien des niveaux. Outre le fait, pour l'adjoint de sécurité en question, qu'annoncer à ses agresseurs qu'il était policier n'a fait qu'empirer les choses et les exciter d'avantage, c'est sur ce qu'elle nous enseigne sur la vidéosurveillance que je voudrais revenir ici.

La vidéosurveillance a permis d'arrêter très rapidement les auteurs présumés de l'agression et Christian Estrosi s'en félicite à juste titre (lire ici).

Mais, si elle a permis l'identification et l'arrestation rapide, elle n'a en rien permis d'éviter l'agression en dissuadant ce groupe d'individus éméchés et violents d'agir. Et Patrick Allemand le souligne, également à juste titre (lire ici).

La vidéosurveillance, rebaptisée et aseptisée en « vidéoprotection », reste la figure la plus emblématique et la plus coûteuse du laboratoire niçois de lutte contre l’insécurité. Elle mobilise une part importante du budget dédié à la sécurité et une part importante des forces de polices. 

Sans entrer ici dans la bataille de chiffres prouvant ou non son impact sur la baisse de la délinquance et des atteintes aux personnes, il convient de rappeler des distinctions de bases. 

En matière de sécurité, on distingue les actions de prévention et les actions de répressions. Le maire est en charge de la prévention (dissuader les délinquants potentiels d'agir) et l’Etat (et donc le Préfet qui le représente dans le département), est en charge de la répression (identifier et arrêter les coupables).

Ses défenseurs argumentent en disant que la vidéosurveillance a un effet dissuasif, mais aucune étude n’est à ce jour parvenue à le démontrer de façon incontestable. 

Les villes qui ont choisi la vidéosurveillance ont aussi augmenté l’éclairage public. On peut légitimement se demander si éclairer fortement les ruelles sombres où se déroulent habituellement les petits trafics ne suffit pas à réduire ces trafics sans avoir recours à une vidéosurveillance très onéreuse et liberticide.

L’argument le plus significatif relève de l’analyse comportementale des délinquants. Ce que l’on regroupe un peu vite sous les termes de « délinquance » ou « insécurité », relève en réalité de comportements très différents. 

Pour que la vidéosurveillance ait un effet sur le délinquant potentiel et qu’elle le dissuade d’agir, il faut avant tout que ce dernier ait un comportement rationnel et fasse un raisonnement du type : « attention, si je commets cet acte dans cette rue, près de cette caméra, alors je risque d’être reconnu, puis arrêté ». 

Or cela ne concerne qu’une partie des délinquants ! Un toxicomane qui agit sous l’effet de l’addiction et du manque a ses capacités de jugement et d’évaluation du risque altérées. De même, le délinquant sexuel poussé par une pulsion incontrôlable ne sera pas non plus susceptible de réfléchir aux risques que représentent pour lui la présence d’une caméra… et prescrire de la vidéosurveillance à tout va face à des actes visiblement commis sous l’effet de pathologies lourdes ne sert à rien…

Cette logique s'applique avec encore plus d'évidence concernant cette fois les crimes et plus seulement les délits : la grande majorité des crimes est commise au sein du foyer, de la cellule familiale. Le criminel est le plus souvent un proche de la victime. Le crime a le plus fréquemment lieu dans l'espace confiné du domicile familiale, au sein d'un espace privé, hors de portée de toute caméra de vidéosurveillance. Ces actes relèvent souvent du crime passionnel et leurs auteurs sont bien loin de penser aux risques encourus à être identifier.

A l’opposé de l’acte compulsif, il existe une délinquance hautement qualifiée, pratiquée par des experts, capables de déjouer les systèmes de sécurité des banques les mieux protégées : ce ne sont pas quelques caméras de vidéosurveillances qui vont les gêner !

Au final, la vidéosurveillance n’est qu’un outil, et il faut à l’évidence utiliser des outils adaptés en fonction du type de comportements auxquels on a affaire. L’effet dissuasif de la vidéosurveillance, de toute façon, ne pourra agir ni sur les personnes soumises à des actes compulsifs ni sur les « professionnels » du grand banditisme.

L'agression récente de l'adjoint de sécurité niçois en est le parfait exemple : les agresseurs, agissant sous l'effet de l'alcool et de la dynamique négative de groupe, n'ont modifié leur comportement ni en apprenant que leur victime était un policier, ni en fonction de la présence de caméras de vidéosurveillance.

La violence gratuite est irrationnelle. Son auteur ne raisonne pas en fonction des risques encourus. La vidéosurveillance n'a aucun effet sur lui.

Cela ne veut pas dire qu'il faille renoncer à la vidéosurveillance. Cela veut simplement dire qu'il faut arrêter de faire croire qu'il s'agit du remède miracle, efficace dans tous les cas de figure, et que consacrer l'essentiel du budget de la sécurité à la vidéosurveillance, au détriment d'une présence humaine sur le terrain, est une erreur. 

Cela veut également dire que si les pouvoirs publics locaux reconnaissaient que la vidéosurveillance est plus efficace en matière de répression que de prévention, son coût devrait être majoritairement assumé par le Préfet et non par le maire...



Pour une analyse plus complète du dispositif de vidéosurveillance à Nice, voir un article plus ancien publié ici.

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