mardi 2 décembre 2014

Charte des Socialistes pour le progrès humain : et il faut voter pour "ça" ?

Le 3 décembre, les adhérents du parti socialiste seront appelés à voter pour ou contre la "Charte des Socialistes pour le progrès humain", fruit des Etats Généraux du PS ayant donné lieu à plus de 5 600 contributions. Cette charte, selon Jean-Christophe Cambadélis, a vocation à devenir notre "référence collective" (consulter la Charte ici).
5 600 contributions, c'est énorme. Cela veut dire que les socialistes, dès qu'on leur en donne la possibilité, saisissent toute opportunité pour travailler, réfléchir et s'exprimer. Ce phénomène peut être interprété, si l'on est optimiste, comme un signe de bonne santé de notre parti et, si on l'est moins, comme la réponse à un sentiment de frustration chronique de militants privés de parole depuis trop longtemps.
La méthode :
Comme l'écrit justement Paul Alliès : "C'est un texte de dix pages qui prétend faire la synthèse de 5600 contributions. (...) Tant sur la forme que sur le fond, le compte n'y est pas. Voilà un texte qui procède plus d'un exercice littéraire que de l'écriture d'une nouvelle perspective politique. Maupassant plutôt que Jaurès." (Lire son analyse complète ici).
De 5600 contributions, nous pouvons tirer tout et son contraire. Prenons un exemple : l'Europe. Certaines contributions insistent sur la perte de souveraineté nationale, d'autres sur un fédéralisme devenu indispensable. Comment faire la synthèse ? Le site des Etats Généraux du PS nous indique qu'il y a eu 330 contributions sur le thème "Europe et souveraineté". Mais rien ne nous dit combien sont à tendance "souverainistes de gauche" et combien à tendance "fédéraliste" (je sais, ces termes devraient être définis, mais ce n'est qu'un exemple). Donc rien ne nous dit que la synthèse présentée est fidèle aux contributions, hormis la confiance à accorder à nos camarades compilateurs. Et il en va de même pour chacun des thèmes abordés.
Lors des conventions du PS, un texte était soumis aux amendements puis au vote des militants. Ici, le texte ne peut être amendé. Bref, c'est à prendre ou à laisser. 
Le moment politique :
Les Etats Généraux ont été pensés et lancés alors qu'aucune date de congrès n'était fixée. Nous étions nombreux à rappeler que les statuts du parti indiquaient qu'un congrès devait avoir lieu à mi-mandat. Nous réclamions un congrès non pour redéfinir l'identité du parti (et il faut arrêter de penser comme par principe que tout le monde a un "problème identitaire") mais pour redéfinir la ligne programmatique de notre action vis à vis de celle du gouvernement issu de nos rangs. Grâce à l'action salutaire de la fédération de la Nièvre, le congrès aura bien lieu dans le respect de nos statuts, du 5 au 7 juin 2015.
Du coup, cette Charte en devient presque caduque avant promulgation: imaginez qu'à l'issue du congrès l'idée d'une sixième République, ou celle d'un revenu universel ou toute nouvelle idée, devienne largement majoritaire au PS et que cette Charte ne l'ait qu'à peine ou pas du tout évoquée... sera-t-telle encore notre "référence collective" ?
Que cela nous enseigne-t-il ? Tout d'abord que le moment du débat prévu par nos statuts et notre histoire commune est le congrès, et que, faute de proposition alternative étudiée et validée collectivement, c'est de lui qu’émane notre "référence commune".
Ensuite, que nous sommes confrontés à une direction qui a voulu faire fi de nos statuts, pourtant garants de notre démocratie interne. Cela prouve que les Etats Généraux sont bel et bien une tentative de diversion pour faire croire qu'une réflexion collective avait lieu au PS et donc que le congrès n'était pas nécessaire.
Dans quel but ? Afin de repousser le plus longtemps possible l'éventualité d'un désaveu de la politique gouvernementale par les militants socialistes. D'ailleurs, les contributions allant dans ce sens n'ont pas été retenues dans cette belle synthèse.
Le contenu :
A la "Charte des Socialistes pour le progrès humain" nous devrions ajouter un sous-titre : "Ou comment réduire la pensée socialiste, et plus largement humaniste, à un catalogue de bons sentiments, de déclarations de principes sans argumentaires, et comment la décrédibiliser en quelques pages."
Prenons deux exemples simples :
Page 4 : "Nous affirmons le primat du politique sur l’économisme. Nous agissons dans le cadre de l’économie de marché. Nous agissons à tous les niveaux pour mobiliser les énergies afin de faire prévaloir l’intérêt général. Nous refusons la société de marché où tout s’achète et se vend." Cette déclaration rappelle la phrase célèbre de Lionel Jospin : "Oui à l'économie de marché, non à la société de marché".
Or si nous sommes tous pour le primat du politique sur l'économie (mais qu’est-ce donc que « l’économisme » ?) et pour "faire prévaloir l'intérêt général" (qui ne le serait pas ?), cette validation de "l'économie de marché" adossée à un rejet de "la société de marché" ne tient pas. En effet, elle repose sur l'idée qu'une frontière étanche sépare économie et société. Or les rapports économiques conditionnent la société et les rapports humains. Ils sont indissociables. Les conditions de travail liées à l'économie de marché, la recherche effrénée du profit, la valorisation de la réussite individuelle comme modèle d'émancipation ou des bienfaits de la concurrence comme mode d'émulation et de dépassement de soi, tous ces facteurs, à différents niveaux et selon différentes modalités, conditionnent notre société.
Affirmer accepter l'économie de marché mais rejeter la société de marché sans distinguer préalablement l'économie de marché d'une part du capitalisme et, de l'autre, du libéralisme, n'a pas de sens.
Page 12 et 13 : "Nous voulons humaniser la mondialisation"
Sous ce titre, suit un paragraphe sur deux pages où se retrouvent sans aucune distinction ni ordonnancement la lutte contre les méfaits de la globalisation financière et marchande (entre autres, la lutte contre les paradis fiscaux et les délocalisations) et la politique internationale de la France (la "résolution pacifique des conflits dans le cadre des Nations Unies", la "paix durable au Proche-Orient" et la lutte contre le terrorisme)... sans oublier, au passage, et parce que l'on ne savait visiblement pas où les caser, la défense de la francophonie et la lutte contre l'immigration illégale...
Que de confusions dans les termes et d'imprécisions dans la pensée ! Quel appauvrissement de la réflexion collective ! Des concepts non définis, des affirmations jetées ça et là en dépit de toute cohérence, des projets politiques de valeurs réduits à des banalités de comptoir.
Soit l'on considère que le mot "mondialisation" est la stricte traduction française de "globalisation" et l'on s'en tient à la sphère économique et financières, soit l'on considère que la mondialisation est plus qu'un système économique, mais il faut alors la définir. Par exemple (et au hasard) Marine Le Pen, affirme que la "mondialisation" est bien plus que la "globalisation", puisqu'elle est, selon elle, le système politique qui soutient le système économique de la globalisation et qu'elle combat sous le terme de "mondialisme". Parler d'une mondialisation non réductible à la globalisation nécessite donc, on le voit, de la redéfinir et de l'expliciter. Prions pour qu'aucun membre d'ATTAC ou des Economistes atterrés ne lise ce ramassis de confusions ! Là, j'ai mal à ma démondialisation...
Et gageons, pour le moins, que la politique internationale de la France aurait mérité meilleur sort que d'être ainsi évoquée sans être sérieusement traitée. 
Et maintenant, que faire ?
- Voter "pour" : valider le procédé, la pseudo démocratie participative interne, et des Etats Généraux en forme de leurre pour masquer le besoin urgent d'un congrès. C'est à mes yeux impossible.
- S'abstenir : peut-être, mais comment sera interprétée cette abstention ? Absence d'avis ou désapprobation ? 
- Ne pas voter ? On ne peut demander plus de démocratie et refuser l'acte démocratique du vote.
- Voter "contre" : seule issue me semble-t-il, par défaut certes, pour signifier clairement notre désapprobation tout d'abord de ce texte informe et ensuite de ce processus intellectuellement malhonnête.
 A vous de voir...

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