mercredi 7 octobre 2015

De la droite décomplexée à l’extrême droite

Qui sème le sarkozysme récolte Morano
Déferlement de haine, d'islamophobie et de racisme. Les digues volent en éclats. Les barrières patiemment érigées contre la haine s'effondrent pendant que l'on dresse des barbelés et des murs à nos frontières. Ceux-là même qui veulent le retour de la morale à l'école ne savent plus où se situe le bien et le mal. Ceux-là même qui parlent du vivre ensemble traquent l'ennemi de l'intérieur et désignent le bouc émissaire. De vagues de terreurs en vagues de rancœurs, la France écume de rage.
Overdose médiatique autour d'un Zemmour au grand récit national maurrassien, obsession idenditaire réactionnaire d'un Finkielkraut, retour au droit du sang et culte de l'autorité d'un Ciotti, troisième guerre mondiale et cinquième colonne d'un Estrosi, préférence nationale soudain devenue politiquement correcte lorsqu'il s'agit de préférer un SDF français à un réfugié étranger, préférence confessionnelle assumée lorsqu'il s'agit de préférer un réfugié chrétien à un réfugié musulman, racisme grossier d'une Nadine Morano faisant presque passer Nicolas Sarkozy pour un "républicain"... Le débat public français est saturé de xénophobie. Car il ne faut pas s'y tromper, Nadine Morano n'est qu'un symptôme. Mais de quel mal plus profond est-elle alors la manifestation ?
Depuis de longues années les médias nous parlent de "dérapage" de telle ou telle personnalité. On nous a parlé de "proximité" entre droite et extrême droite, puis de "porosité" et de "collusion". Enfin on a évoqué une "droite extrême" proche de l'extrême droite. Le Front National, en dénonçant l'UMPS, s'il rejetait ainsi dos à dos les partis traditionnels, tentait surtout de masquer sa gémellité nouvelle avec l'UMP. La droite française, de son côté, a dû s'autoproclamer républicaine pour tenter de se rassurer sur sa propre identité politique. Car à force de vouloir séduire l'électorat frontiste elle a dû parler le langage et adopter les réflexes de l’extrême droite. Afin d'apparaître comme le dernier rempart face au FN, elle a tout simplement fait une OPA sur le corpus idéologique du Front National.

En réalité, depuis la proclamation de la droite "décomplexée" et l'adoption de la "ligne Buisson", Nicolas Sarkozy n'a pas fait que faire sauter les tabous de la droite française, il a amorcé son inexorable mutation vers l'extrême droite. Et c’est l’ensemble de l’échiquier politique qui s’en trouve modifié. C’est également la crédibilité de la parole publique dans sa globalité qui s’en trouve affectée tant le décalage est grand entre les mots employés, ceux de la République et de ses valeurs, et le contenu des discours bien souvent anti républicains.
Une large partie de la droite dite républicaine est à ce point décomplexée qu'elle ne fait rien d'autre que promouvoir impunément les thèses d'extrême droite qu’elle combattait auparavant. Décomplexée, cette nouvelle droite française se complet dans la stigmatisation de ce qu’elle nomme « l’assistanat », tantôt valide le lien direct entre immigration et chômage, tantôt soutient la « manif pour tous », sombre parfois dans le discours ultra sécuritaire et enfreint bien souvent les règles élémentaires de la laïcité. La quête de l'identité nationale, la revendication permanente des racines chrétiennes de l'Europe puis de l'appartenance à une prétendue civilisation judéo-chrétienne ont fondé un populisme identitaire confessionnel nouveau. Dernier exemple, en n'acceptant d'accueillir uniquement les Chrétiens d'Orient et en faisant peser le soupçon de terrorisme sur toute personne de confession musulmane, certains maires « républicains » ont récemment affiché publiquement leur islamophobie. Ce qui a d’ailleurs choqué dans la dernière saillie de Nadine Morano, c'est plus la manifestation du rejet de l'autre en des termes éculés, dépassés, et le retour à la terminologie raciale que le rejet de l’autre lui-même. Mais le mouvement de repli identitaire xénophobe est identique.
Face à cette déferlante de haine, face à ce glissement idéologique, que faire ?
Il faut tout d'abord arrêter de présenter l'extrême droite dans l'échiquier politique français comme incarnée par le seul Front National. Elle est en réalité diffuse et ses thèses sont portées bien au-delà.
Il revient aux électeurs d'exiger des partis réellement républicains qu'ils fassent toute la clarté nécessaire dans leurs discours et leurs actes. Et qu'ils n'investissent pas, voire excluent des candidats, élus et représentants faisant la promotion des idées d'extrême droite. Sanctionner Nadine Morano qui a affirmé que la France est un pays de race blanche est la moindre des choses. Mais par qui sera-t-elle sanctionnée ? Qui dirige le parti auquel elle appartient ? Ah oui, celui qui a déclaré que l'homme africain n'était pas encore entré dans l'Histoire... Et qui la soutient publiquement ? Ah oui, le député maire de Nice, celui qui affirmait que la carte d'identité ne suffit pas à faire un français... Et les adhérents de ce parti ne protestent pas ? Ils en redemandent ? Et les centristes font campagne commune avec eux ? Et tout le monde trouve cela normal ?
Et quelles réactions à gauche, une fois passé le doux temps de l'indignation ? Qui portera l'assaut face à ce populisme identitaire nouveau ? Le chef du gouvernement ? Celui-là même qui déclarait que les Roms n'avaient vocation qu'à retourner en Roumanie ? Celui qui a fait voter une loi liberticide sur le renseignement, profitant de l'opportunité d'une menace terroriste bien réelle pour instrumentaliser la peur légitime qu'elle suscite en arme politique ? Il revient aux adhérents du Parti Socialiste d'exiger de leur parti et du gouvernement composé de ses membres de ne pas enterriner à son tour et à son niveau une dérive sécuritaire néfaste. Il leur revient de ne pas laisser la gauche gouvernementale adopter le langage et les solutions de la droite libérale, occupant désormais la place laissée vide par cette droite traditionnelle migrant vers l'extrême droite. Il revient également aux opposants à la politique austéritaire de l'Union Européenne de ne pas accepter, sous couvert d'union des souverainistes, des rapprochements et des alliances contre nature avec l'extrême droite.
Où sont les consciences humanistes pour rejeter les arguments de ceux qui prônent le tri entre les êtres humains selon leur confession ? Où sont les intellectuels de gauche face à la profusion surmédiatisée des visions déclinistes ? Et surtout, où est le « peuple de gauche » ? Il semble partagé, disloqué, perdu entre, pour certains, un inconditionnel soutien au parti du renoncement, pour d’autres l'appartenance à différents partis d'extrême gauche ou écologistes qui conservent, eux, une cohérence idéologique mais ne parviennent malheureusement pas à incarner une alternative dans les urnes et, pour un nombre toujours plus important, un abstentionnisme nouveau, revendiqué, fait de déception, de rejet des pratiques politiciennes et du refus viscéral de cautionner l'indéfendable politique d'un gouvernement et d'une majorité pourtant issus de leurs rangs.
La réalité, c'est qu'il n'y aura pas de grand soir. La réalité, c’est qu'il est vain et infantile d'attendre l'homme providentiel tout comme il est vain et futile d'attendre que surgisse ex nihilo un Podemos ou un Syriza français. Il nous revient, il revient à chacun d'entre nous d'apporter sa part, sa pierre à l'édifice, de ne pas laisser faire et, au-delà de la simple réaction, de poser les conditions de possibilité d'une refondation. Nous devons tout à la fois mener le combat culturel pour relever le drapeau de l'humanisme gisant au sol, redéfinir et réaffirmer nos valeurs, et, avec nos propres moyens, chacun en fonction de ce qu'il peut apporter, redonner sens à l'engagement citoyen.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire