lundi 1 mai 2023

Métropole Nice Côte d'Azur : une politique climaticide ?

La Métropole Nice Côte d'Azur a pris successivement plusieurs décisions climaticides, c'est-à-dire des choix politiques qui participent au dérèglement climatique. Ces choix sont d'autant plus surprenants qu'ils vont à l'encontre des objectifs que la Métropole a elle-même fixés en matière de lutte contre la pollution et les dérèglements climatiques dans ses deux documents maîtres en la matière : le Plan Climat Air Energie Territorial 2019-2025 (PCAET) voté en conseil métropolitain le 5 avril 2018 et le Plan d'Action de la Qualité de l'Air (PAQA) voté le 16 décembre 2021.

Ces décisions climaticides sont : 
- Concernant la circulation automobile, l'augmentation des tarifs des mobilités douces (bus, tram et vélos bleus) et la non application des Zone à Faibles Emissions mobilité (ZFE-m)
- Concernant le trafic aérien, l'extension de l'aéroport et la non limitation des jets privés
- Concernant l'artificialisation des sols, la poursuite de la bétonisation de la plaine du Var

Les conséquences du dérèglement climatique sont pourtant connues :  prolifération d'espèces invasives, sécheresses et pénuries d'eau, pluies torrentielles, inondations et tempêtes, etc. Rappelons, pour notre seul département, les 20 décès causés par les inondations survenues dans la nuit du 3 au 4 octobre 2015 dans les communes de Biot, Vallauris, Mandelieu, Antibes et Cannes. Rappelons également les 10 morts et 8 disparus dus à la tempête Alex dans les vallées de la Tinée, la Vésubie et la Roya le 2 octobre 2020. 

Les conséquences de la pollution sur la santé sont également bien identifiées : maladies respiratoires chez les personnes âgées et les enfants, aggravation des maladies cardio vasculaires, etc. Le Collectif citoyens 06 estime à 500 le nombre de décès prématurés par an dus à la pollution atmosphérique à Nice, chiffre finalement confirmé par la Métropole.

La Métropole fixe elle-même, dans ces deux documents planificateurs, ses objectifs pour atteindre la neutralité carbone, parmi lesquels :
- Réduire les émissions de gaz à effet de serre de 22 % d'ici 2026, de 33% d'ici 2030 et de 75 % d'ici 2050  
- Réduire les émissions de polluants atmosphériques de 44 % d'ici 2026 et de 48 % d'ici 2030. 

Dans son baromètre de la transition écologique, la Métropole annonce avoir réduit les émissions de gaz à effet de serre de 14% en 10 ans, de 2012 à 2022, soit 1,4% par an. A ce rythme là, d'ici 2050, au lieu de réduire les émissions de 75 % et d'atteindre la neutralité carbone, la Métropole n'aura baissé ses émissions que de 53,2 % : on est loin du compte ! Il faut en conséquence accélérer ce processus. Or les décisions prises vont dans le sens inverse et vont ralentir la réduction des émissions de gaz à effet de serre, voire les augmenter. 

Revenons sur les choix climaticides récents de la Métropole Nice Côte d'Azur :

1. Circulation automobile : augmentation des tarifs des mobilités douces (bus, tram et vélos bleus) et non application des Zone à Faibles Emissions  (ZFE-m)

Le transport routier représente 55 % de la production de gaz à effet de serre et 40 % des polluants atmosphériques. Très logiquement, le premier levier d'action identifié dans le PCAET est "la réduction de la part modale du véhicule thermique grâce à la restructuration du réseau de tramway et de bus ainsi que le développement des modes doux comme le vélo". Or la Métropole vient de faire l'inverse en augmentant les tarifs d'abonnements au vélo bleu en février dernier. Elle va de plus augmenter les tarifs des transports en commun au 1er juillet 2023 : le ticket solo passe de de 1,50 € à 1,70 € (+ 13,33 %) ; l'abonnement annuel passe de 326,50 euros à 360 euros (+ 10,20 %) ; la carte de 10 voyages à 10 € (la plus plébiscitée par les usagers) est supprimée et remplacée par une carte de 50 voyages nécessitant de débourser 50 euros. Déni social, contresens écologique, cette augmentation des tarifs va être forcément dissuasive et va freiner l'utilisation des transports doux. Les mobilités durables, levier déterminant pour faire baisser la pollution atmosphérique en centre ville, sont donc clairement délaissées par la Métropole. Et cela va très précisément à l'encontre du plan d'action fixée par la Métropole elle-même dans son propre PCAET et son action IV.1.3 : "Induire un report modal vers les transports collectifs par une gamme tarifaire attractive et une facilitation des gestes des usagers des transports en commun."

Autre levier permettant de faire chuter la production de gaz à effet de serre et réduire le bruit : les Zone à Faibles Emissions mobilité (ZFE-m). Pour circuler dans les territoires placés en ZFE-m, il faut un certificat qualité de l’air et les véhicules les plus polluants ne peuvent y accéder. Alors qu'il s'agit d'une obligation légale, la Métropole a délimité le plus petit périmètre possible (2% des véhicules concernés sur seulement 4% de la superficie de la commune de Nice), et Christian Estrosi a déclaré à la presse et en conseil métropolitain qu'il ne sanctionnerait pas le non respect de ces zones. Autrement dit, sans coercition, pas de baisse de production de CO2. L'argument avancé pour ne pas rendre opérationnel ce dispositif est d'ordre social et doit être pris en compte : beaucoup de personnes, malgré les primes à la conversion, ne peuvent changer de véhicule et se verraient ainsi privées d'accès au centre ville. Devant cette difficulté les élus métropolitains renoncent à cet outil déterminant de lutte contre la pollution atmosphérique que sont les ZFE-m.

Un autre levier est pourtant à la disposition de la Métropole et permet de répondre à ces difficultés, mais elle refuse de s'en servir : la gratuité des transports en commun.
Ce choix, déjà opéré par 38 villes en France dont Calais, Dunkerque et tout récemment Montpellier, permet de faire d'une pierre deux coups : on rend les transports en commun le plus attractifs possible et on compense la mise en œuvre des zones à faibles émissions mobilité. 
Aujourd'hui 40% des trajets effectués dans la Métropole font moins de 3 km, beaucoup se font à l'intérieur de Nice intra-muros. Le seul moyen de faire chuter la production de gaz à effet de serre et de limiter le tout voiture est de provoquer un changement de comportement profond. Faire abandonner la voiture à ceux qui roulent pour le moindre déplacement n'est possible qu'en changeant radicalement l'image collective que l'on a des transports en commun. Et ce ne sont pas les aménagements tarifaires par catégories d'usagers qui y parviennent. La gratuité, c'est la liberté de monter dans un bus ou un tramway sans se soucier d'avoir renouvelé son abonnement, d'avoir payé un titre de transports ou de risquer un contrôle. C'est la liberté pour tous d'abandonner la voiture en centre ville. La gratuité des transports en commun est de plus une mesure qui réconcilie écologie et progrès social : elle permet de réduire la pollution tout en faisant baisser le budget transport des ménages. Alors que l'augmentation des tarifs votée par les élus métropolitains sanctionne financièrement les habitants, la gratuité rend la mobilité accessible à tous.
La gratuité permet d'offrir une solution à celles et ceux qui seraient sanctionnés par les ZFE-m en rendant l'accès au centre ville gratuit, par les transports en commun, à condition de ne plus y utiliser son véhicule trop polluant.
Certains disent que la gratuité des transports réduit la marche à pied. C'est en partie vrai, mais l'expérience démontre que c'est davantage le côté agréable ou désagréable de l'environnement urbain qui incite à marcher ou à ne pas marcher en ville. D'autres disent qu'il est injuste de rendre gratuits les transports pour les personnes aisées. C'est également vrai mais d'une part les personnes les plus aisées ne prennent actuellement que très peu les transports en commun, et, d'autre part, on ne peut changer radicalement l'image des transports en commun dans notre imaginaire collectif sans passer par une gratuité inconditionnelle pour tous et sur tout le réseau.
Seule la gratuité inconditionnelle des transports en commun permet un changement radical de la mobilité dans notre imaginaire collectif et rend possible l'abandon du "tout voiture". Nice peut devenir la 39ème ville et la 2ème métropole de France à la mettre en œuvre.
Avec le rassemblement citoyen Viva nous avons lancé une pétition contre l'augmentation des tarifs des mobilités douces et pour la gratuité inconditionnelle des transports en commun qui a déjà récolté plus de 1 500 signatures. A signer et faire signer ici : https://www.mesopinions.com/petition/social/transports-commun-nice-augmentation-tarifs/204302

2. Trafic aérien : extension de l'aéroport et non limitation des jets privés

Le trafic aérien constitue une autre source importante de pollution atmosphérique. Si l'Aéroport de Nice se défend et se prétend vertueux en ne mesurant que la pollution causée par les avions au sol, sur les pistes, il est évident que l'augmentation du trafic aérien augmente la pollution atmosphérique. Et si l'Aéroport de Nice affiche une neutralité carbone, c'est uniquement une neutralité "par compensation", c'est-à-dire en payant un droit de polluer ici et en compensant ailleurs sur la planète... 

Le projet d'extension de l'aéroport de Nice consistait initialement à passer de 13 millions de passagers par an à 18 millions dès 2022 puis 21 millions en 2030. Le Covid et le confinement ont ralenti le processus mais la Métropole a réaffirmé sa volonté d'extension de l'aéroport à l'identique tout en restant plus floue sur le calendrier. Or on ne peut augmenter le nombre de passagers et donc principalement de touristes sans augmenter la pollution atmosphérique, les nuisances sonores pour les riverains, la production de déchets dans un système de gestion déjà saturé, les d'embouteillages, etc. 

Nous sommes nombreux à alerter depuis plusieurs années sur les dangers du tourisme de masse et du sur-tourisme, ce point de bascule où le développement du tourisme nuit de façon irrémédiable à la santé publique, à l'équilibre social et économique, à notre qualité de vie et à notre environnement. Dès janvier 2020 je dénonçais dans un article "Sur-tourisme et qualité de vie à Nice" les dangers écologiques, sociaux et économiques de la mono-activité touristique. Le tourisme fait vivre beaucoup de niçois mais l'économie niçoise dépend trop du tourisme. Au lieu de diversifier les moteurs d'attractivité et de développement économique, nous sombrons encore davantage dans une mono-activité touristique dangereuse. Si les conditions climatiques se dérèglent encore davantage ou si le risque attentat devient tel que la "destination Nice" tombe pour les tours opérateurs, la très grande majorité de l'activité économique niçoise sera purement et simplement à l'arrêt. De plus, alors que de nombreux acteurs du secteur font des efforts pour tendre vers un tourisme éco-responsable, le choix de maintenir l'extension de l'aéroport de Nice relance le modèle pourtant dépassé du tourisme de masse. Tant que la Métropole n'aura pas renoncé à son projet d'extension de l'aéroport de Nice, elle sera disqualifiée à prétendre lutter contre les dérèglements climatiques.

Le rassemblement citoyen Viva a lancé en 2020 une pétition contre l'extension de l'aéroport qui a rassemblé plus de 13 000 signataires : https://www.mesopinions.com/petition/social/referendum-extension-aeroport-nice/78071https://www.mesopinions.com/petition/social/referendum-extension-aeroport-nice/78071
Une seconde pétition a été lancée par le collectif "Stop à l'extension de l'aéroport de Nice" et a déjà récolé plus de 4 800 signatures : https://agir.greenvoice.fr/petitions/non-a-l-extension-de-l-aeroport-nice-cote-d-azur-une-bombe-climatique-et-sanitaire

Si la Métropole continue de s'enfoncer dans le sur-tourisme au détriment d'un tourisme éco responsable, elle développe bien un modèle de tourisme particulier : le tourisme de luxe. Outre le tourisme de luxe maritime, elle a développé un trafic aérien de jets privés considérable, au point de faire de Nice la troisième destination mondiale la plus prisée des propriétaires de jets privés. L'aéroport de Nice Côte d'Azur serait ainsi l'aéroport européen qui a accueilli le plus de vols de jets privés en 2022 : 34.710 jets privés, soit 95 vols par jour ! Au total, 6% du trafic aérien européen en jet privé passerait par Nice.
Les jets privés sont 50 fois plus polluants que les trains. On a tracé l'impact écologique des déplacements des hyper-riches : l'empreinte carbone en jet privé de la 3e plus grosse fortune mondiale, Bernard Arnault, pour le seul mois de mai 2022, est égale à celle d'un français moyen en... 17 ans. Un jet polluerait autant en une heure qu’un Français en un an. 

Portée par EELV et localement par le groupe écologiste d'opposition à la Métropole Nice Côte d'Azur ou Extinction Rébellion, l'opposition aux jets privés a fait l'objet d'un projet de loi déposé à l'Assemblée Nationale et une pétition a également été lancée, recueillant plus de 56 000 signatures : https://agir.greenvoice.fr/petitions/mesdames-et-messieurs-les-deputes-interdisez-les-vols-en-jet-prive. Les élus de la majorité métropolitaine niçoise ont répondu par le déni et n'envisagent en rien de limiter la prolifération des vols en jets privés. 

Etrangement, la mesure de la pollution causée à Nice par le trafic aérien n'est pas clairement étayée. Les documents produits par la Métropole sont effectivement bien silencieux sur la pollution liée au trafic aérien. Le PCAET et le PAQA mentionnent bien le trafic aérien dans les sources de pollutions mais sans donner de détail : "Les transports maritimes et aériens représentent 16% des émissions de NOx et 5% des émissions de particules fines." La Métropole ne donne donc pas le bilan carbone précis du trafic aérien à Nice. Pire, les mots "jets privés" sont absents de tous les documents planificateurs mis en ligne. Il y a là un défaut de transparence évident.

3. Artificialisation des sols : poursuite de la bétonisation de la plaine du Var

Autre décision climaticide : la bétonisation de la plaine du Var. L'objectif fixé par la loi est d'atteindre zéro artificialisation nette d'ici 2050, ce qui implique, pour les territoires (communes, départements, régions) de réduire de 50 % le rythme d’artificialisation et de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030 par rapport à la consommation mesurée entre 2011 et 2020. Rappelons que l'artificialisation est un phénomène qui consiste à transformer un sol naturel, agricole ou forestier, par des opérations d’aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation partielle ou totale. Les conséquences de l'artificialisation des sols sont connues : perte de biodiversité, augmentation du risque inondation, réduction de la capacité agricole pour produire de la nourriture, et, bien sûr, dérèglement climatique (un sol artificialisé n’absorbe plus le CO2 et participe à la hausse du réchauffement climatique). Le changement d'affectation d'un sol a un impact direct sur la production ou la captation de carbone et joue sur l'évolution du stock carbone d'un territoire.

La plaine du Var est historiquement un vivier agricole fertile ayant permis d'approvisionner Nice et sa région en produits frais durant des siècles. L'Opération d'Intérêt National "éco vallée", dont le préfixe vise le développement économique et non l'écologie, est un projet d'un autre temps qui a permis de construire au détriment des terres fertiles et d'artificialiser massivement la plaine. Les projets, en cours de réalisation ou à venir, constituent une aberration environnementale majeure : 
  • Grand Arénas = 565 000 m2
  • Le Pôle d'échange multi-modal = 108 000 m2
  • Nice Méridia = 320 000 m2
  • IKEA = 40.000 m2, etc. 
Outre le PLUm qui permet de limiter l'artificialisation des sols, le document planificateur qui doit compléter le PCAET et qui permet à un territoire de préserver ses terres arables et d'augmenter son autonomie alimentaire est le "Projet Alimentaire Territorial" (PAT). Or malgré différentes annonces faites depuis 2020, la Métropole Nice Côte d'Azur ne s'est toujours pas dotée d'un PAT. Il n'y a donc ni diagnostic précis, ni stratégie, et encore moins de plan d'actions concrètes. Tout reste l'état de projet et c'est là un retard très inquiétant. Si la Métropole s'était dotée d'un PAT, nul doute que la bétonisation actuellement en cours de la Plaine du Var aurait été incompatible avec ses prescriptions. Cette bétonisation est un contresens écologique total. 

Dans cette plaine, on construit en zone historiquement inondable. Résultat : l'immeuble "l'Avant-Scène", en cours de construction face à la gare Saint Augustin et qui monopolise à lui seul 36 000 m2, s'est enfoncé de 16 cm dans le sol. Pire, pour construire le pôle multimodal et pour assécher la zone on aurait pompé 47 000 m3 d'eau dans la nape phréatique ! 
Le 25 janvier 2023 le parquet financier de Paris effectuait une série de perquisitions dans les bureaux d'agents et d'élus de la Métropole concernant plusieurs contrats passés parmi lesquels le bâtiment "Iconic" près de la gare Thiers et... les conditions d'acquisition par la société Fondimmo des 36.000m2 sur lesquels l’"Avant Scène" est érigé.


On le voit à travers ces trois domaines d'interventions majeurs que sont la circulation automobile, le trafic aérien et l'artificialisation des sols, les choix opérés par la Métropole démentent les belles déclarations de ses élus et contredisent les documents planificateurs qu'elle a elle-même votés et les objectifs qu'elle s'est elle-même fixés. 
En augmentant les tarifs des transports doux, en ne rendant pas effectives les ZFE-m et en n'instaurant pas la gratuité inconditionnelle des transports publics, la Métropole laisse la production de gaz à effet de serre progresser et s'empêche de l'enrayer. 
En maintenant son projet d'extension de l'aéroport de Nice et en ne limitant pas les vols en jets privés, elle va augmenter la production de gaz à effets de serre et de polluants atmosphériques et contribuer à accélérer le dérèglement climatique. 
En poursuivant la bétonisation de la Plaine du Var elle s'empêche d'augmenter son autonomie alimentaire et poursuit une artificialisation des sols aux conséquences dramatiques. 

Ne pas lutter suffisamment contre le dérèglement climatique est irresponsable, contribuer à l'accélérer est coupable.

4 commentaires:

  1. Excellent article, merci ! Juste un détail : le chantier de la gare multimodale a pompé 47 millions de litres, soit 47.000 m3, et non litres.

    RépondreSupprimer
  2. L'accueil de grands évènements nationaux (tour de France, trophée Andros, etc.) concourt aussi à annuler les efforts consentis: afflux de touristes, embouteillages, pollution automobile, consommation excessive d'eau, etc)

    RépondreSupprimer
  3. Pour la carte de 10 voyages c'est pire que ça : c'est 1€ le voyage, à partir du 51e acheté.
    Pour 50 voyages ce sera 72,40€ au lieu de 50€ soit 44,8% d'augmentation.

    RépondreSupprimer