dimanche 1 novembre 2015

La France, c'est chacun d'entre nous. Réponse à la Fédération des Musulmans du Sud

La Fédération des Musulmans du Sud (FMS) a publié le 30 octobre 2015, via Facebook, une "Lettre à France" à la fois sincère et révélatrice des contradictions qui tourmentent aujourd'hui une partie de nos compatriotes de confession musulmane.
Je la retranscris ici en intégralité et me propose d'y apporter quelques éléments de réponse susceptibles, je l'espère, d'alimenter notre réflexion commune.
"Lettre à France:
Nous sommes à un tournant de ton Histoire. Un tournant où nous, Français musulmans, issus de l'immigration ou pas, attendons que tu reconnaisses tes erreurs et les répare. 

Peut-être sommes nous bercés d'illusions mais nous voulons y croire.
Croire que nos livres ne mentaient pas lorsqu'ils nous décrivaient une France multiculturelle, laïque et loin des discriminations.
Malheureusement plus le temps avance et plus la situation pour nous devient insupportable. Il ne se passe pas une journée sans que nous ne soyons le sujet fétiche des médias. Ce principe de laïcité, qui devait garantir notre liberté est devenu notre bourreau. Chaque jour, au nom de l'Etat laïc, tu exclus.
Aujourd'hui, on est loin de cette France des années 80-90 où l'Etat Islamique et Daesh n'existaient pas.
Le problème c'est qu'après chaque attentat, chaque horreur perpétrée par ces monstres, tu en profites pour restreindre nos libertés. Que tu l'admettes ou pas, tu nous tiens pour complices.
Il est normal que tu luttes contre les attaques terroristes et que tu prennes les mesures nécessaires pour les neutraliser, mais tu dois aussi comprendre que cette lutte ne se fera pas sans nous.
Quel type de message crois-tu envoyer à nos enfants lorsque des établissements refusent que des mères voilées puissent les accompagner à des sorties scolaires? Tu les attaques à travers ce qu'ils ont de plus cher, leur maman. Ce n'est pas la meilleure façon de faire naître un sentiment de patriotisme. Tu produiras l'effet inverse et tu le sais, mais peut-être que ça te plaît. Tu pourras ensuite accuser les jeunes de se communautariser. Alors qu'en réalité, tu es seule à devoir en porter la responsabilité.
Sur la question du voile, il faut accepter qu'une tenue vestimentaire relève des libertés individuelles. Il est inconcevable que tu puisses encore envisager qu'en 2015, les femmes voilées le sont parce qu'elles sont forcées et que tu dois à tout prix les libérer. Ce paternalisme post-colonial doit cesser. Le voile n'est pas un signe de soumission même si tu t'évertues à le présenter comme tel.
Mais si seulement tu t'étais arrêtée au voile...
Tu nous parles aujourd'hui de nos repas. Viande halal et repas sans porc sont devenus des sujets récurrents. Pourquoi vouloir encore t'occuper de ce qui se trouve dans nos assiettes? Les repas de substitution à la cantine ont toujours existé, sauf qu'en 2015, la France est Charlie. Donc à la réponse, comment stigmatiser encore un peu plus les musulmans, tu répondras par cette polémique stérile. L'école ce lieu de vivre-ensemble et d'apprentissage montre nos enfants du doigt.
Il n'est pas trop tard pour que tu reprennes tes esprits et que cette période noire ne devienne qu'un mauvais souvenir.
Il n'est pas trop tard pour que ta devise "Liberté, Égalité, Fraternité" retrouve son sens.
Il n'est pas trop tard pour que tu ne fasses plus de différences entre tes enfants. Les enfants de cette République.
Qu'Allah te bénisse.
La Fédération des Musulmans du Sud"

Cher membre de la FMS,
Ta "lettre à France" m'a interpellé et je souhaite te répondre. 
Ma première interrogation porte sur le destinataire de ta lettre : à qui écris-tu ? Tu écris une lettre à "France". Vois-tu, je ne crois pas à une vision essentialiste et nationaliste d'une France personnifiée. La France, c'est chacun d'entre nous. C'est Mathieu qui lit ces lignes, c'est toi Feïza, c'est moi David. L'histoire de France s'écrit au présent et chacun d'entre nous contribue, à son niveau, à l'écrire. Ecrire une "lettre à France", c'est nous écrire, c'est écrire à soi-même.
Ce que tu dénonces en réalité lorsque tu écris à "France", ce sont les décisions prises par le gouvernement actuel et les gouvernements précédents, c'est le discours ambiant porté par les médias et ceux qui y interviennent, c'est l'orientation politique décidée par les citoyens qui vont voter et par les citoyens qui ne vont pas voter et laissent les autres décider à leur place.
Oui, la laïcité, détournée, falsifiée, sert aujourd'hui à certains de prétexte pour tenir des discours et prendre des mesures islamophobes.
Oui, la peur légitime suscitée par la menace bien réelle du terrorisme sert aujourd'hui de prétexte à certains pour prendre des mesures liberticides (qui, au passage ne concernent pas que les musulmans, comme la loi sur le renseignement).
Oui, le voile, l'accompagnement des sorties scolaires ou les repas de substitutions sont autant de prétextes qui, dans une société mature et non instrumentalisée ne devraient pas constituer des points de cristallisation de ressentiments mais devraient se régler sereinement dans la tolérance et le respect de la loi.
Mais la laïcité, ce n'est pas cela, tu le sais. Une politique équilibrée garantissant la sécurité de tous non plus. Et c'est à nous, ensemble, de redéfinir et de promouvoir une laïcité qui libère et non une laïcité qui punit, une politique sécuritaire qui rend possible une vie libre et émancipatrice et non un tout sécuritaire qui incite à la méfiance de tous contre tous et à la délation.
Il est à mon sens inutile et vain d'attendre de "la France" des excuses qui, de toute façon, ne résoudraient rien.
Il est de même un peu facile de sans cesse tout ramener à la faute coloniale alors que de nouvelles générations, exonérées de ce passé coupable, occupent aujourd'hui des lieux de pouvoir.
Il est tout aussi réducteur, enfin, de penser que "la France" telle que tu l'entends est seule responsable de la communautarisation de ses jeunes, comme si ceux-ci n'étaient en rien responsables de leurs actes. 
Une laïcité bien comprise demeure le cadre légal dans lequel croyants et incroyants peuvent évoluer ensemble sans heurts. La République française, laïque, séparant les Églises et l'Etat, permet certes de réglementer toute manifestation religieuse sur la place publique, mais elle respecte avant tout toutes les croyances et garantit à chacun la liberté  de croire ou de ne pas croire. C'est une conquête, un progrès, et nous ne devons en aucun cas la laisser devenir à tes yeux un instrument de domination et d'exclusion. A toi de t'en servir comme un cadre légal te permettant de pratiquer ta religion tout en respectant la loi et sans heurter les non croyants. A toi de t'en servir pour te dissocier des actions de prosélytisme et de radicalisation que nous combattons tous deux. A toi de t'en servir pour montrer la différence entre l'islam que tu défends et celui que tu rejettes, ou, pour être plus précis, entre les pratiques que tu défends et celles que tu rejettes, faites toutes deux au nom de l'islam. 
De la "manif pour tous" à l'islamisme radical et à la menace terroriste, le retour du fait religieux exacerbe les tensions et entrave les relations sociales. Le combat contre la barbarie terroriste demeure notre priorité absolue et nous devons tous lutter contre le fondamentalisme. Revendiquer une appartenance religieuse et se définir aujourd'hui sur la place publique par une identité confessionnelle, quelle qu'elle soit, dans ce contexte, revient à limiter soi-même le périmètre de son action possible, et j'en viens à ton positionnement de "Musulman du Sud".
Vois-tu, je m'oppose à la théorie du "choc des civilisations" servant de caution à un nouvel impérialisme. Je ne peux dès lors que m'opposer également à ce  "choc des identités" se jouant ici et maintenant, dans nos villages, nos villes et nos quartiers, chacun arrivant sur la place publique en portant l'étendard identitaire de sa communauté.
Distribuer bénévolement et à tous une soupe populaire, comme tu le fais, est une action noble et louable. Le faire en portant un tee shirt mentionnant ta croyance à l'islam est à mon sens une erreur. Au lieu de venir sur la place publique en mettant en avant ce qui nous rassemble, tu affiches d'emblée ce qui nous sépare.
J'ai compris que tu le faisais pour donner une image nouvelle et progressiste de ta religion et donc de toi même, en tant que croyant, à l'opposé du soupçon latent de radicalisation et de terrorisme qui pèse aujourd'hui sur tout musulman en France. 
J'ai compris également que tu revendiquais ta place dans notre société et une reconnaissance dont ne bénéficiaient pas tes parents et grands-parents. 
Mais si chacun arrive porteur de son identité communautaire, tel bénévole fier de se montrer musulman, tel intellectuel faisant sans cesse primer son identité juive sur sa nationalité française, tel député-maire revendiquant son appartenance à une prétendue civilisation judéo-chrétienne, telle eurodéputée se référant à la race blanche, nous nous éloignons chaque jour un peu plus de ce qui nous unit : nous sommes tous des citoyens.
Si d'une part tu souhaites, comme moi, démontrer que l'islam, en soi et comme n'importe quelle autre croyance, n'est pas incompatible avec la démocratie, et si d'autre part tu tiens à te présenter aux autres avant tout comme musulman, il ne faudra pas t'étonner ensuite que l'on te somme, à terme, de tracer une délimitation claire entre islam et islamisme et que l'on te ramènes, de fait, à la religion dont et toi et les terroristes vous vous réclamez.
En t'identifiant toi-même comme musulman, quand bien même tu le fais pour défendre un islam progressiste, tu impliques que l'on attende de toi la condamnation permanente de l'islamisme et que l'on te réduise à ton identité religieuse. Or est un être humain n'est pas réductible à sa croyance. Mais tu t'enfermes toi même dans ce carcan.
Il n'y a pas les "Musulmans du Sud" d'un côté et "la France" à qui ils écrivent de l'autre. Vous êtes la France autant que n'importe quel citoyen français, ni moins que les autres, ni plus qu'eux.
Ta lettre me permet de comprendre un peu mieux ce que tu ressens et comment des décisions et des principes qui, en théorie, semblent de bon sens, sont perçus au quotidien comme autant d'actes de discrimination et d'acharnement.
Mais, si la République française respecte toutes les croyances et si tu peux parfaitement te proclamer musulman, si le fait d'ouvrir le dialogue par tes actions publiques et par cette lettre est louable, la limite de ton action est inscrite dans son principe même, par ton auto définition identitaire confessionnelle et communautaire.
Musulman du Sud, apprend à te définir avant tout comme citoyen.
Que la République te protège et te permette de t'émanciper.
David Nakache,
Citoyen.

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